• Southland tales, de Richard Kelly (USA, 2006-2007)

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Où ?
A mon (ancienne) maison, en DVD zone 1. C’est le dernier film que j’aurai vu rue Damrémont, pour une fin « not with a whimper, but a with a bang »

Quand ?
Mardi

Avec qui ?
Seul (après l’avoir commencé avec mon frère, mais je n’avais pas envie d’attendre trop longtemps avant de poursuivre)

Et alors ?

Il est rare qu’un film passé à Cannes ne sorte pas dans les salles françaises. Il est encore plus rare (voire jamais arrivé ?) que cela se produise pour un film américain – surtout quand le film
en question est signé par un réalisateur connu, tel Richard Kelly dont le Donnie Darko avait fait son effet lors de sa sortie. Mais le résultat est là : protéiforme,
insaisissable, boursouflé de partout, refusant de choisir entre la réalité et la science-fiction, entre les films d’exploitation et l’art&essai, entre la Bible et la junk culture, entre les
néo-conservateurs et les néo-marxistes, Southland tales ne sortira jamais chez nous sur grand écran, mais seulement en DVD zone 1 (dès maintenant) puis 2 (à la fin de l’année,
grâce à Wild Side).

On a beaucoup comparé Kelly à Lynch au moment de Donnie Darko, on avait raison : si ce dernier était son Mulholland drive, Southland tales
est son Inland Empire. Soit un « machin » de surdoué mégalo, qui fait d’ordinaire des oeuvres moyennement compréhensibles et qui pour une fois choisit, sur un coup de
tête / de génie, d’en faire quelque chose de complètement incompréhensible plutôt que de raisonnablement opaque. La tagline de Southland tales est « This is the way the
world ends »
: mais le film ne raconte pas une histoire de fin du monde, plutôt une ambiance de fin du monde. Ceux qui espèrent voir la première proposition seront irrémédiablement
déçus ; ceux qui sont prêts à se voir proposer la seconde ont de vraies chances de passer un moment captivant.

Southland tales démarre par une séquence d’ouverture tétanisante, qui semble tout droit sortie des cauchemars du cinéaste – à l’été 2005, une attaque nucléaire sur les USA
vue depuis un caméscope amateur filmant un barbecue banal – suivie d’un récapitulatif en voix-off et images de synthèse des événements prenant place dans les mois qui suivent, jusqu’au lancement
de la campagne présidentielle américaine de 2008. A l’époque de son écriture et de son tournage (il a été présenté à Cannes en mai 2006), Southland tales se voulait en effet un
film d’anticipation proche ; les aléas de sa production l’ont transformé en œuvre au futur antérieur. De façon inattendue, le film y gagne un intérêt certain de par son look low-tech – le
film est à petit budget pour son genre : 15 millions de $ -, ses prévisions très pertinentes (la radicalisation des positions politiques entre gauche et droite, le problème de plus en plus
criant des ressources énergétiques, le durcissement excessif du Patriot Act), et surtout le fait que la destruction de notre civilisation, ou en tous les cas de son fidèle reflet, y a déjà eu
lieu.

Après cette double introduction, Richard Kelly se lance dans un brillant mais improductif collage d’images, de sons, de personnages, de voix. Des débuts de récits potentiels émergent de
tous les côtés : l’élection présidentielle et ses combines méprisables dans les 2 camps ; un scénario de film décrivant par le menu la fin du monde bien qu’écrit par une ex-star de
porno, Krysta Now, et une star de cinéma d’action / gendre du candidat républicain à la présidence / déclaré disparu depuis plusieurs jours et amnésique depuis lors, Boxer Santaros ; la
découverte par une équipe de scientifiques d’une nouvelle et apparemment inépuisable source d’énergie baptisée Fluid Karma… En faire la liste complète et en détailler les enjeux prendrait plus
que mes 3 derniers articles réunis, et surtout serait complètement inutile : car quand vient le moment de les enclencher pour de bon pour lancer le récit, le film continue ostensiblement à
faire du surplace.

Et ce moment ne viendra jamais. Jusqu’au bout, Southland tales tourne à vide ; ses protagonistes et enjeux s’entrechoquent (par exemple par la voix-off égrenant des citations tirées de
l’Apocalypse) sans jamais s’interpénétrer. De la part de quelqu’un d’intelligent comme Kelly, qui a de plus passé de longs mois à remonter son film après la sélection à Cannes – laquelle
représente, en aparté, un vrai traquenard pour un tel long-métrage -, on est en droit de penser que cela est volontaire. Donc on se laisse guider, avec une confiance aveugle, et Southland
tales
fait alors sens dans son absence de sens.

Cette absence, ce vide, ne sont en effet que ceux qui semblent bien définir notre époque. Quand on en arrive au point qu’une actrice de films X a autant d’exposition médiatique qu’un leader
d’opinion, que les mouvements politiques ne savent plus rien des idéologies qui les ont fait naître, que nos faits et gestes sont espionnés et jugés jusqu’au plus petit détail, faut-il encore
espérer l’émergence d’un grand récit fédérateur et cohérent ? Kelly répond que non. Et filme des bribes incohérentes de ce monde résumé à son microcosme californien comme on zappe entre les
dizaines de chaînes du câble, jusqu’à tomber sur une tête connue. Le choix des acteurs de Southland tales, en apparence improbable pour un film « sérieux », n’a rien en
réalité rien d’innocent : The Rock, Sarah Michelle Gellar, Seann William Scott, Mandy Moore, Justin Timberlake et j’en passe jusqu’à Christophe Lambert dans un petit rôle forment un ensemble
on ne peut plus homogène dans la promesse de nullité qu’ils véhiculent.

Comme il est en plus suffisamment bon directeur d’acteurs pour les rendre crédibles dans des rôles dramatiques, Kelly gagne sur les 2 plans – il nous accroche au petit destin individuel de
chacun, tout en se moquant du grotesque du groupe pris dans son ensemble, qui rêve d’une apocalypse à la Kiss me deadly mais n’a droit qu’à une déchéance façon Big
Lebowski
(les 2 films sont cités explicitement dans Southland tales). En effet, et sans rien dévoiler du semblant d’intrigue qui se développe malgré tout dans la dernière
demi-heure du film, les personnages de Southland tales en sont arrivés à un tel point de brassage de vide que le clap de fin ne viendra d’aucune de leurs conspirations, actons commando ou
vendettas, mais d’une cause qui leur est complètement extérieure et passée inaperçue. Ce deus ex machina à l’envers, qui vient tuer tout le monde plutôt que les sauver, est alors la conclusion
parfaite à cette Apocalypse de pacotille, où pour reprendre une phrase lue sur le Net « bad actors play bad actors writing bad screenplays with bad characters that they then become the
bad stars of »
.

Outre le plaisir morbide, cynique mais quand même limité d’observer de l’extérieur ce petit manège, qu’est-ce qui fait tenir la distance devant Southland tales ? La
magnificence de l’ensemble. Libéré des contraintes de fond, Kelly fait exploser les promesses contenues dans Donnie Darko au niveau de la forme. La mise en de chaque séquence,
voire même de chaque plan provoque une incroyable sidération. Les trouvailles du réalisateur en termes d’éclairage, de décor, de découpage, de mouvement d’appareil – qu’il s’agisse d’un
plan-séquence complexe ou d’un simple champ / contrechamp à 2 personnages – pour tirer le meilleur de chaque scène prouvent de bout en bout son génie avec une caméra. Quant aux choix musicaux,
ils sont encore plus parfaits que dans Donnie Darko. La remarque vaut tant pour les remarquables plages mélancoliques de Moby, qui a parfaitement saisi l’esprit du film, que pour
les morceaux originaux rajoutés par Kelly. Sur Blackout de Muse, il signe ainsi l’un des plus beaux plans du moment, avec des projecteurs tournant en rythme avec les chœurs de la
chanson. Incroyable.

Les particularités de Southland tales, film unique en son genre, ne plairont donc pas à tout le monde – elles déplairont même sûrement au plus grand nombre. On peut aussi se
demander si Kelly ne se prend pas un peu trop au sérieux, ou s’il ne risque pas assez vite de tourner en rond (pas mal d’idées formelles et de script étaient déjà présentes dans Donnie
Darko
). Mais dans tous les cas, il faut tenter Southland tales ; car « this is the way the world ends ».

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