• Séries B comme Brutales : Thriller : a cruel picture, de Bo Arne Vibenius (Suède, 1974) et Hitcher, de Robert Harmon (USA, 1986)

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thriller-4Où ?

A la maison, après en avoir entendu parler dans le programme de l’Étrange Festival 

Quand ?

La semaine dernière

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

 

Exhumation du contenu du juke-box d’influences de Quentin Tarantino, épisode 2683. Les attributs de Madeleine, l’héroïne de ce Thriller pré-Michael Jackson, ont été
répartis entre deux des personnages féminins de Kill
Bill
 : à Elle Driver, le eye patch emblématique et stylisé (à rebours de tout réalisme, la couleur de celui de Madeleine s’accorde avec ses
vêtements) ; à The Bride, la quête implacable d’une vengeance sanglante à l’encontre de ceux qui l’ont maltraitée dans des proportions inqualifiables.

 

La vengeance ne représente qu’une part mineure du scénario de Thriller. Ce sont ses raisons, puis sa préparation, qui tiennent le haut du pavé. Le regard porté sur ces
domaines par le réalisateur Bo Arne Vibenius est incroyablement insensible, et en cela plus tranchant que la lame la plus aiguisée. L’atroce et injustifiable chemin de croix enduré par Madeleine
– son enlèvement, la création de sa dépendance à l’héroïne, sa prostitution – nous est montré dans un style au-delà du documentaire, qui s’apparente à la lecture robotisée d’un procès-verbal
radicalement et effroyablement factuel. D’où les inserts de plans pornographiques non simulés à l’intérieur des scènes de sexe facturé et contraint, qui représentent la manière la plus directe et
la plus vraie d’exposer à l’écran cette partie du récit de la même manière que l’emploi d’un montage ultra répétitif est le meilleur moyen de raconter l’entraînement intensif et draconien que
Madeleine s’inflige (aux arts martiaux, au tir de précision et à la conduite de course) de longs mois durant afin de rendre sa vengeance la plus irrévocable possible.

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La décision arbitraire d’avoir rendu la jeune femme muette renforce puissamment chacun des effets et des chocs du scénario. À voir son parcours, nous concevons l’ampleur de la souffrance, de la
haine et de la détermination qu’elle ressent ; et puisque ces émotions violentes ne peuvent s’exprimer oralement, par la parole ou le cri, nous prenons en pleine figure comment leur énergie
démesurée et inhibée se cristallise dans les regards, les gestes, la raideur corporelle de Madeleine. Le eye patch évoqué plus haut, et la cause de sa pose, sont les seuls éléments de
Thriller à s’affranchir de cette ligne directrice réaliste et intolérante en vigueur dans le film. Ils sont, de ce fait, les bornes de ce dernier en apportant des
touches de fiction explicites et bienvenues – le patch en raison de sa coquetterie, l’éborgnement de Madeleine par son mac car il s’agit de l’unique événement dont la vision complète nous est
épargnée par une coupe juste avant que le couteau atteigne l’œil.

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La dernière partie, l’exécution de la revanche, révèle à ses dépends qu’une autre force est à l’œuvre dans le style du film : son budget famélique. Ce qui aidait tant que
Thriller est calme, par la banalité des décors et la limitation au strict minimum de l’action, devient un boulet dès lors que des individus s’affrontent, se
pourchassent, s’entretuent. Vibenius n’a pas le talent suffisant pour contourner les obstacles d’une logistique fauchée, et s’en tient à viser un service minimum qui garantirait le niveau de
tension et de fièvre. Ce à quoi il échoue, les rares effets qu’il a dans la manche (essentiellement, un ralenti trèèèèèèèèèèèèèèèès ralenti) se retournant contre lui. Heureusement, l’idée du
supplice mortel que Madeleine fait subir à son ultime cible, son Bill à elle, vaut le détour – je vous laisse en découvrir la teneur ; disons juste qu’elle nécessite entre autres choses un cheval
et un seau d’eau – et permet à Thriller de se finir sur une note à la hauteur de ses deux premiers et brillants mouvements.

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Hitcher se développe à partir d’un concept tout aussi minimaliste, voire plus car il ne comporte aucune évolution, aucune progression, mais uniquement un présent
perpétuel dans lequel un même motif reproduit sans fin. Un jeune homme embarque un autostoppeur en pleine nuit, lequel autostoppeur exprime le désir de le tuer. Le héros parvient à l’éjecter hors
de sa voiture, ce qui clôt le prologue du film – et enclenche la boucle cauchemardesque. Au cours des jours qui suivent l’autostoppeur va surgir de nulle part et répandre la destruction et la
mort autour du héros, transformant ce dernier en complice à son corps défendant de cette calamité : tous les lieux où il passe sont dévastées, tous les gens avec qui il entre en contact sont
tués.

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Expurgé d’un quelconque fondement justificatif, ce programme de pur anéantissement ne peut fonctionner que visuellement, par la mise en scène. Le charisme glacial et l’incroyable dureté du regard
de Rutger Hauer (qui incarnait déjà un rôle apportant une énergie similaire à Blade runner) font du physique de l’acteur le pivot autour duquel s’articule la violence
implacable du film. Même quand celui-ci n’est pas à l’écran, tout ce que fait la caméra et tout ce qu’elle observe opère comme une prolongation de son attitude, de sa présence sinistre. Les
cadrages insensibles à l’horreur présente à l’image, et les panoramiques d’une lenteur assurée nous plongent ainsi dans un état d’impuissance écrasant. Une ambiance mortifère règne sur tous les
lieux traversés par les personnages, motels, stations-service et même commissariat, comme s’ils n’étaient qu’une prolongation des étendues désertiques au milieu desquelles ils sont plantés. De ce
désert il paraît bien impossible de s’échapper, ce qui renforce la sensation d’un monde clos que dégage Hitcher : hors du temps, hors de l’espace, avec cet
autostoppeur dément comme seul maître de la partie et des règles qui y sont en vigueur.

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Le jeu de massacre est particulièrement frappant dans sa première partie, quand la seule réaction accessible au héros face à l’amoncellement de cadavres sur son chemin est un hébétement total.
Lorsqu’il commence à exprimer des velléités de révolte et de confrontation, Hitcher prend l’allure plus convenue et forcément moins saisissante d’un duel entre un bon et
un mauvais. La forme devient presque routinière, avec son lot de fusillades et d’explosions à l’hollywoodienne. Il y a plus de dialogues échangés, aussi, ce qui effrite le charme paralysant du
film ; mais son immoralité profonde le maintient bien au-dessus de la moyenne. C’est en effet toujours la philosophie du méchant qui prime dans la terminaison de ces scènes – les voitures et
hélicoptères de la police explosent, les personnages secondaires innocents meurent dans d’atroces souffrances. Le triomphe final du héros a dès lors un goût particulièrement amer. On aurait aimé
que Robert Harmon approfondisse ses personnages, et à travers eux cette piste psychologique mais bon, si une série B se met à trop en faire ce n’est plus vraiment une série B.

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