• Secret sunshine, de Lee Chang-dong (Corée du Sud, 2006)

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Où ?
Au Balzac, dans la grande salle à la forme bizarre et aux sièges moyennement confortables

 


Quand ?

 

Mercredi soir (le jour de la sortie)

 


Avec qui ?

Seul, après le désistement de ma fiancée, malade, pour Michael Clayton (chroniqué bientôt donc). On était une quinzaine dans la salle et, si j’ai bien observé, que des
gens seuls. Les films dits « de festivals », qui plus est exotiques, seraient-ils difficiles à vendre aux amis ou compagnons ? ;-)

 


Et alors ?

 

Moins connu que ses compatriotes, de Kim Ki-duk (L’île, Locataires) à Bong Joon-ho (Memories of murder,
The host), Lee Chang-dong devrait voir cette tendance s’infléchir grâce prix d’interprétation féminine attribué à Cannes à son nouveau long-métrage. Le cinéaste continue
à y creuser le sillon qui est le sien : le mélodrame total, sans atténuation même minime du caractère tragique des épreuves placées sur le chemin des personnages.

 

Cela peut paraître bizarre à dire pour un film suivant une femme tentant de surmonter un double deuil (l’histoire démarre après la mort du mari de Shin-ae, puis au tiers du film c’est son fils
unique qui est kidnappé et assassiné), mais Secret sunshine est étonnamment calme et posé. Ce choix, qui surprend également par rapport aux précédents films du
réalisateur (Peppermint candy, Oasis), est le fruit d’une grande ambition – diluer dans la description précise et patiente du quotidien les
mécaniques d’écriture mises en œuvre dans un tel drame. La beauté du film tient sûrement pour beaucoup aux raisons intimes qui ont engendré sa mise en chantier (Lee Chang-dong a lui-même perdu un
enfant dans sa vie) : ces circonstances créent une sincérité palpable, qui se traduit par une mise en retrait permanente. Tout est fait pour ne pas déranger Shin-ae dans son combat pour
continuer à vivre. La caméra se tient toujours à distance, et aucun effet voyant de réalisation ou de montage ne vient parasiter ce que vit l’héroïne.

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Pendant de longues périodes, cette retenue peut être prise pour de la désinvolture, un manque de substance. Il en est ainsi de la longue exposition de la petite ville anonyme de province où
Shin-ae vient vivre, avec présentation détaillée des habitants sans pour autant les inclure dans un projet clair de récit (et pour cause, comme on le verra plus tard la ville, et sa population,
est en réalité le récit : elle lui donne même son nom dans la version originale). De même, le chemin mystique emprunté après la mort de son fils par Shin-ae auprès d’une communauté de
chrétiens fanatiques est filmé avec insistance par Lee Chang-dong sans qu’il explicite pour autant son opinion à leur égard. Dans les 2 cas arrive, en bout de course, une séquence étonnante, qui
bouscule nos a priori avec une puissance toute entière basée sur le travail patient d’écriture et de mise en scène effectué en amont par le cinéaste. Lorsque arrive le kidnapping du fils, on
se rend compte qu’il a été annoncé par une série de signes discrets insérés au fil du récit de l’installation ; de même, la tentative avortée de pardon chrétien de Shin-ae au meurtrier
conclut un crescendo de situations blessantes où la conversion de l’héroïne et les préceptes qu’elle tente de suivre ne débouchent sur aucune gratification, ni aucune consolation de sa douleur.

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C’est après ces 2 coups d’assommoir (arbitraire du drame, et absence d’une solution magique pour effacer ses séquelles) que Secret sunshine se dévoile dans toute son
ampleur tragique. Suite à une ellipse – seul moment où Lee Chang-dong s’en remet à un artifice voyant de montage – intelligemment exploitée, chaque figure de la galerie de personnages qui
habitent la ville-film revient au cours de cette ultime partie, chacune avec sa destinée personnelle ayant elle aussi subi une brisure, en bien ou en mal, et qui aurait donc pu être l’objet d’un
autre film. Ainsi diluée au milieu des autres habitants, Shin-ae – et avec elle le spectateur qui la suit depuis 2h20 – se rend à l’évidence : malgré tous nos efforts pour nous convaincre du
contraire, le monde n’a ni sens, ni logique, ni hiérarchie. Et nous n’avons qu’une prise infime sur sa marche. Plus que déprimante, cette acceptation de dernière minute (de dernier plan, même)
est surtout belle, émouvante, et apaisante.

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