• Saraband, de Ingmar Bergman (Suède, 2004)

Je like cet article sur les réseaux sociaux de l'internet!

Où ?

Chez moi, en DVD

Quand ?

La semaine dernière


Avec qui ?

Ma femme (et oui !)


Et alors ?

Formellement, l’objectif de ce film (dont Bergman sait qu’il est le dernier) est de briser définitivement le mur entre le cinéma et le spectateur, mur déjà bien attaqué au fil des œuvres du cinéaste suédois depuis les regards face caméra de Monika – dont l’on retrouve d’ailleurs certains avatars ici. Via un prologue déclamé en direction du spectateur, des distorsions criantes dans les âges des personnages, et des clins d’œil à d’anciens films (Scènes de la vie conjugale bien sûr, dont Saraband est la « suite », mais aussi La source par exemple), Bergman nous rend complices de son ultime déclaration d’amour envers les femmes. Ce sont en effet elles qui ont ici toute l’intelligence, toute la retenue, toute la compréhension envers les hommes, leur violence, leur lâcheté, leurs peurs ; et ce à tous les âges, grand-mère, mère, fille. Marianne / Liv Ullmann n’a d’ailleurs rien de moins comme rôle que celui de « créer » le film (en allant voir Johan, puis en acceptant les confidences de sa petite-fille Karin), et c’est elle qui bénéficie des modifications d’âges – elle est à peine plus vieille que Henrik, le fils de Johan, tandis que ce dernier est affublé de 20 années de plus qu’elle !

saraband-2.jpg

Jusqu’au bout, la mise en scène de Bergman aura été magnifique. Il se sert d’une DV belle à pleurer pour tout capter : le mouvement, la lumière, les détails d’un paysage ou d’un visage (les rides !). Et ses cadrages sont toujours aussi magistraux : voir les zooms, continus ou en plusieurs plans successifs ; la scène d’excuses d’Henrik à sa fille (avec cadrage sur l’un ou l’autre selon la personne « active » dans le souvenir évoqué par Henrik – lui-même ou Anna, sa femme décédée) ; le recueillement dans la chapelle…

saraband-4.jpg

Par le décalage de l’intrigue vers les générations suivantes (hormis pour le prologue et le dernier acte, lequel est un clin d’œil attendri au final de Scènes de la vie conjugale), Bergman parle de la transmission de choses intangibles et vitales comme la curiosité, l’empathie, l’intégrité, la générosité – ou au contraire la misanthropie, le caractère acariâtre, l’égoïsme. À voir le coeur qu’il met dans certaines scènes (la dernière en particulier, et plus encore les tous derniers mots de Marianne : « Je pense à ce fait étrange d’avoir, pour la première fois de ma vie, réalisé, senti, que c’était ma fille que je touchais… mon enfant »), la question de savoir ce que lui-même a su/pu transmettre à ses descendants l’a suffisamment obsédé pour lui faire faire un ultime film avant de partir. Loin d’être apaisé, Bergman est aussi sec qu’à son habitude, comme lorsqu’il déclare à travers l’exemple de Henrik et Anna qu’une personne bonne, même morte, apportera toujours plus à ceux qui l’ont côtoyée qu’un vivant aimant mais égocentrique. Ce n’est pas trop s’avancer dans l’intimité du réalisateur que de voir dans Saraband une ultime demande de pardon de sa part à ses proches, ainsi qu’une invitation faite à tous les spectateurs à prendre conscience du sujet avant qu’il ne soit trop tard pour eux aussi.

saraband-3.jpg

Au milieu d’autres suppléments inutilement pompeux, le DVD MK2 propose un remarquable making-of qui ne se détourne pas de sa raison d’être, sa responsabilité presque : voir, enfin, Bergman au travail. Le résultat est à la hauteur de l’attente générée par un tel document : la folle énergie du cinéaste, son sens incroyable du détail nous éclatent en pleine figure dans la création bouillonnante de chacun des tableaux de Saraband. Mieux encore, quelques phrases de lui nous éclairent : il fait des films selon des impulsions, liées aux questionnements de sa vie et, dans le même temps, déclare que le résultat final ne l’intéresse pas ou peu. Les tournages représentaient donc de véritables épisodes cathartiques pour lui, des sortes de transes qui le poussaient à recréer fidèlement dans la caméra (via un travail dans un univers extrêmement contrôlé et des acteurs dirigés au millimètre) des images qu’il avait dans la tête. Lorsqu’il nous offrait un film, c’est que celui-ci avait fini de signifier quelque chose pour lui. Soit un paradoxe assez fascinant pour celui qui aura été l’un des plus grands cinéastes de la seconde moitié du 20è siècle.

saraband-1.jpg

Les commentaires sont fermés.