• Repo men, de Miguel Sapochnik (USA, 2010)

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repo-3Où ?

A l’UGC Orient-Express

Quand ?

Mercredi soir, à 19h30

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

 

Alors que tous les cinémas parisiens ou presque sont assaillis par des bobines du film Inception, deux salles résistent encore et toujours à l’envahisseur. Elles sont
bien connues, fichées même : ce sont elles, le Publicis sur les Champs-Élysées et l’Orient-Express aux Halles, qui diffusent habituellement sous le manteau les séries B déviantes sorties
d’Hollywood (films d’horreur, de science-fiction sans stars) et les comédies stupides de Will Ferrell. Cette fois, elles ont mis la main sur Repo
men
, film de science-fiction avec stars – Jude Law, Forest Whitaker – mais aussi véritable accident industriel avec ses treize petits millions de dollars au box-office américain. La
sanction, dans ce cas-là, est un abandon en rase campagne du film par le studio comparable à celui des animaux de compagnie sur la route des vacances. Sans aucune campagne marketing, le film doit
se débrouiller seul avec son titre qui sonne mal et qui ne veut rien dire pour le spectateur non-anglophone lambda. « Repo » est le diminutif de « repossession », et
les « repo men » sont ces gros bras qui viennent saisir vos biens lorsque vous n’avez plus de quoi payer les traites de vos crédits.

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Remy (Law) et Jake (Whitaker) sont des repo d’un genre spécial, puisque les biens qu’ils récupèrent sont des organes artificiels, donc directement prélevés sur le corps des mauvais
payeurs. L’entreprise pour laquelle ils travaillent, The Union, ne se sent pas franchement investie d’une mission de service public : elle vend ces organes à des prix mirobolants, avec des
possibilités de crédit à des taux usuriers, et lorsqu’elle envoie ses repo c’est avec un mode opératoire consistant en une anesthésie au Taser, une incision permettant de prélever
l’organe en question, et l’abandon du reste du corps à une mort certaine sur le sol de l’appartement. Cette idée d’une extrapolation trash et cynique de la crise des subprimes est
excellente, et son exposition en introduction du film donne un premier quart d’heure impeccable. Les performances du duo Law-Whitaker en repo sans cervelle qui se contentent de faire le
boulot et d’empocher les primes, et de Liev Schreiber (Un crime
dans la tête
) dans le rôle de leur chef de succursale locale, col blanc sans morale et sans remords, permettent alors à Repo men d’explorer la
piste de la diatribe politique de façon concise et adroite. On observe un coup comment toute la chaîne fonctionne, de la vente à crédit au recouvrement, et on peut passer à autre chose.

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C’est avec cet « autre chose » que les choses se gâtent pour Repo men, ou plutôt avec son absence. Le film est en effet écartelé entre sa condition de produit
hollywoodien fait pour le divertissement des masses, et sa conscience profonde, particulièrement nihiliste. La première lui intime de choisir dans les rayonnages des studios de quoi assembler une
histoire familière voire rebattue ; la seconde ruine l’un après l’autre ses efforts en ce sens. La descente aux enfers de Remy, qui passe du statut de maillon essentiel et efficace du
système à celui de paria persécuté par ce même système (qui n’exprime donc aucune forme de mansuétude ou de reconnaissance à son encontre), se fait en une succession de séquences dont aucune ne
fonctionne pleinement. Toutes ont cette qualité hollywoodienne qui les maintient à flot, soit dans la production value des décors et effets spéciaux soit dans l’ironie habile de
l’écriture (la chirurgienne de neuf ans, le camouflage en homme-sandwich corporate). Mais elles sont en même temps toutes abîmées d’une manière ou d’une autre – par une mise en place
expédiée, une logique détraquée (la tentative de fuite par l’aéroport, imbécile de A à Z), ou encore une artificialité à peine masquée (la romance contractuelle, et traitée comme telle). Le pire
étant le sort réservé aux deux renversements de situation soi-disant mystérieux qui ouvrent et concluent cette longue phase du film : plus cousus de fil blanc, c’est impossible.

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Pendant une heure Repo men avance ainsi cahin-caha, se faisant soi-même des croche-pattes puis se relevant de force en se tirant d’une main par le col. La classification
comme OFNI (objet filmique non identifié) est à portée de main, dans la catégorie « passable ». Elle devient finalement réalité mais dans la catégorie « frappant » avec le
dernier acte, complètement barge. En soi son principe – un film dans la tête du héros du film – n’a rien de spectaculaire, il ne fait que fusionner une idée piquée à Brazil avec une voisine piochée dans
Vanilla sky. Mais
son exploitation nous place dans un état de stupéfaction insensé. La progression de Remy et de sa copine Beth à travers les niveaux et les couloirs du bâtiment central de The Union effectue un
recyclage d’un autre style, puisqu’il s’agit alors de passer en revue des éléments-clés de l’histoire artistique rebelle récente, mais sous une forme encore plus gore, encore plus
virulente, encore plus corrosive. Essayez de vous représenter un mix entre la fusillade du hall d’immeuble de Matrix, le plan-séquence de combat à mains nues de Old boy , et la vision des cadres supérieurs de multinationales donnée par Brett Easton Ellis dans American psycho, rajoutez-y
une avalanche de perforations à l’arme blanche, et des gerbes de sang et plans explicites qui vont avec, et vous saisirez à quel point Repo men s’engage soudainement en
territoire complètement inexploré. Mais vous serez encore à des années-lumière de pouvoir imaginer à quoi ressemble la scène qui clôt en feu d’artifice cette orgie d’incorrection et de trahison
du moule hollywoodien. Ce mambo sanguinolent et sensuel, excitant et dérangeant, ne doit cette fois rien à personne et pour cause : il ne ressemble à rien de connu. C’est assurément l’une
des deux ou trois scènes de l’année.

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[spoiler] Et le plus fou est que cette scène n’existe nulle part ailleurs que dans l’esprit du héros du film. Le nihilisme de Repo men prend en effet
in fine le dessus sur sa mission de leurre du public : non, il n’est pas possible de détruire seul un système tentaculaire de laminage de la population, tel que celui mis en place
par The Union dans le film ou par les banques dans le monde réel. La seule issue à ce genre d’affrontement est la mise hors d’état de nuire de l’individu, contrairement à ce que des années de
récits mainstream édifiants voudraient nous faire croire.

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