• Pickup on South Street, de Samuel Fuller (USA, 1953)

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Où ?

A la maison, en DVD zone 1 édité par Criterion

 

Quand ?

La semaine dernière

 

Avec qui ?

Seul

 

Et alors ?

 

Pickup on South Street est un exemple fortement marqué de contraste entre la qualité de la forme et du fond d’un même film. La forme est prodigieuse. Pour son premier film à
Hollywood, à la Fox de Darryl Zanuck, le réalisateur Samuel Fuller laisse éclater toute l’étendue de son talent cinématographique, l’un des plus purs qui n’aient jamais été. Comme l’a écrit à son
sujet Martin Scorsese, « he’s got to tell you a story, and he’s got to tell it fast ». On entre ainsi dans le film par l’enchaînement de trois séquences presque entièrement muettes,
uniquement entrecoupées par de courtes scènes d’exposition, et où l’action se déroule au cœur de LA ville (New York), voire même dans ses entrailles : l’acte de pickpocket dans un wagon de métro
bondé qui conditionne le reste de l’intrigue, et deux filatures en pleine rue. Dans ces scènes – en particulier dans celle du vol – les dialogues sont remplacées par un montage extrêmement et
savamment découpé, avec pour conséquence la montée en puissance d’un suspense immédiat.

Dans la foulée de cette ouverture à bride abattue, le reste du film est mené d’un seul souffle, dans l’urgence. Fuller ne s’autorise aucune pause, aucune respiration – il y a une histoire à mener
à son terme, et vite. La plupart des scènes-clés dans la résolution de l’intrigue se trouvent même captées en plan-séquence, qu’il s’agisse d’une exécution de sang-froid ou de bagarres à travers
une chambre d’hôtel ou carrément une station de métro. Dans ces scènes, tout effet de montage serait superflu car il viendrait suspendre l’urgence de l’action.

Au-delà des images, Fuller démontre également dans Pickup on South Street une fabuleuse capacité à donner chair à des personnages borderline, qu’il décrit lui-même comme
étant antipathiques, cyniques, mus par le seul instinct de survie. Ils sont trois principalement dans cette histoire : le pickpocket et antihéros Skip (Richard Widmark et son regard
halluciné) ; sa victime qui fait la passeuse de documents pour une cellule communiste sans être au courant de l’identité de ses employeurs, Candy (Jean Peters, aux antipodes de la femme
fatale) ; et Moe, qui paye sa concession au cimetière en faisant l’indic pour les flics ou toute autre personne prête à y mettre le prix (Thelma Ritter, au timbre de voix inoubliable).
Fuller parvient on ne sait comment à extraire de ces trois acteurs une expression primitive de cet instinct, ce feu intérieur qui les fait aller de l’avant. Il nourrit ensuite cette flamme par
l’utilisation répétée de gros plans outranciers, à la limite – jamais franchie – du grotesque, sur leurs visages où explose cette pulsion frénétique de sortir vainqueur du jour à venir. Dans
Pickup on South Street, les hommes et les femmes qui vivent les péripéties sont autrement plus importants que les péripéties en elles-mêmes.

Mais toute cette énergie déployée à brûler la chandelle par les deux bouts repose forcément sur une actualité concrète. Celle-ci prend la forme d’une chasse aux communistes à laquelle tous les
autres personnages, en « bons américains », prennent part parce que c’était alors dans l’air du temps. Il est certain que Fuller ne pense pas le moins du monde à ce que son film dit
malgré lui en se saisissant d’un tel sujet. Son choix d’un traitement selon l’angle du fait divers et non du sujet politique fait que Pickup on South Street, sans être mauvais en
soi, arbore une neutralité qui a tendance à passer pour l’acceptation tacite d’un parti-pris abusif et à sens unique. L’équivalent aujourd’hui serait de faire un film sur la stigmatisation
permanente des sans-papiers, avec pour postulat que les traquer et les expulser est la bonne chose à faire, point final (Éric Besson, si tu nous entends, ce film serait fait pour toi).
D’ailleurs, Pickup on South Street paye ce traitement limité, en fait divers, dans son final qui tombe quelque peu à plat et rate la concrétisation d’un réel climax
dramatique – faute d’enjeux moraux forts.

Les bonus de cette édition sont une mine d’informations sur le film, et encore plus sur son metteur en scène. On y trouve ainsi deux interviews passionnantes de Samuel Fuller, qui vit encore
éperdument son film trois ou quatre décennies plus tard – il raconte quasiment au plan près des scènes entières du scénario, détaille la logistique mise en œuvre pour les séquences d’ouverture et
de fin (pour lesquelles une station de métro, les rails et le métro qui circule dessus ont été reconstruits intégralement en studio)… Le cinéaste nous gratifie également de quelques belles
maximes, dont celle-ci : « la caméra peut TOUT faire ». Le DVD est accompagné d’un très bon livret papier, contenant deux belles analyses du film et un autre entretien,
plus long, donné par Fuller à propos de Pickup on South Street. Enfin, ne pas rater la biographie/filmographie écrite du réalisateur proposée sur le disque. Pas très aisée à lire,
elle s’avère d’une remarquable exhaustivité et est accompagnée de documents rares tels que des photos, affiches de films et reproductions de pages des carnets de notes tenus par Fuller tout au
long de son service dans l’armée, pendant la Seconde Guerre Mondiale.

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