• Pas mieux, pas pire (Carlos, parties 2 et 3)

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Comme je l’espérais à la fin de la décevante première partie de Carlos, la suite
s’engage de bien meilleure manière. Pour la bonne raison qu’Olivier Assayas y construit enfin de véritables séquences. La prise d’otages de l’OPEP à Vienne en 1975, avec laquelle on attaque sans
délai, est bien évidemment de celles-ci. C’est même le moment-phare de toute l’œuvre, sous la forme d’un saisissant double huis clos s’étalant sur une heure. A l’intérieur du bâtiment où se
déroulait la réunion des ministres des membres de l’OPEP, c’est un mix entre Un après-midi de chien – pour la situation – et Syriana – pour son
contexte aux multiples ramifications géopolitiques liées aux luttes de pouvoir au sein du Moyen-Orient – qui s’échafaude. Mieux, une fois les terroristes et leurs otages entrés dans leur avion
sautant d’aéroport en aéroport à la recherche d’alliés (et n’y trouvant que trahisons et doubles jeux), c’est une forme qui lui est propre que Carlos met en place ;
une forme vierge de toutes références et donc encore plus excitante.

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Assayas parvient à retrouver la même fièvre dans d’autres scènes, plus mineures, du deuxième volet. Citons la longue discussion théorique qu’ont deux révolutionnaires allemands sur la question de
l’étendue à donner à leur lutte armée – jusqu’à quel point batailler contre le capitalisme, et contre le sionisme (avec sur ce second point, le risque élevé de basculer du mauvais côté de la
limite entre antisionisme et antisémitisme). Mais ces personnages et leur mouvement auraient clairement mérité leur propre film, ou spin-off puisque Carlos est un
hybride entre cinéma et série TV, pour être pleinement considérés. Un autre moment fort est l’entretien d’embauche de Carlos chez le ministre syrien, où il n’est plus du tout question d’idéologie
mais simplement d’un partenariat « gagnant-gagnant ». Les Inrocks ont comparé cette scène à un transfert d’un joueur star en football ; c’est exactement ça.

 

Aussi réussie qu’elle soit, cette scène porte en elle les germes de la déliquescence du troisième volet du triptyque. Celui-ci retombe en effet dans les travers du premier en même temps que
Carlos est rejeté dans l’inaction – forcée et non voulue cette fois. Il n’a plus d’utilité pour quelque commanditaire que ce soit, les combats idéologiques auxquels il s’était rattaché dans ses
premières années ayant été vidés de leur substance : dans les dernières décennies du vingtième siècle, le communisme et la cause palestinienne ont perdu contre le capitalisme et Israël. Les
seules actions du terroriste s’inscrivent dès lors dans une logique de vendetta personnelle, qui n’intéresse et ne motive que lui ; ainsi ses attentats parisiens pour forcer la main de la
France en vue de la libération de membres de son groupuscule. A l’échelle du film, tout se dérègle une fois de plus. Les scènes défilent trop vite, les dialogues sonnent trop faux, étant à
l’intention du spectateur (pour lui expliquer de manière condensée l’ensemble des enjeux et contextes) et non seulement à celle de l’interlocuteur du personnage dans le film. Le beau travail de
reconstitution, voire d’orfèvrerie réalisé par ailleurs sonne creux. Il n’est pas assez habité par ses personnages ou par son réalisateur, lequel n’est définitivement pas à son aise. Ses
tentatives pour apposer sa marque sont trop solitaires : les infiltrations de musique rock et new wave paraissent artificielles ; la place donnée à la tension et au désir sexuels est
enrayée par la transformation, dans le dernier acte, de Carlos et Magdalena Kopp en héros de drame sentimental classique, « bourgeois », qui colle du coup très mal avec le reste.

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La communion remarquée entre le film et son protagoniste se manifeste jusqu’au bout : le premier reprend des couleurs dès lors que le second accepte son statut de retraité anticipé. Les dernières
séquences à Khartoum, plus posées, plus paisibles, retrouvent de l’air et de l’intérêt. Elles laissent enfin vivre un personnage, plutôt que de feuilleter à toute allure sa biographie platement
factuelle. Et donnent leur lot de regrets, comme à chaque fois qu’un biopic décevant par excès de fidélité à la réalité nous laisse entrevoir ce qu’il aurait pu être avec un peu plus de
ciblage et d’assurance.

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