• Paranoid Park, de Gus Van Sant (USA, 2007)

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Où ?
Au ciné-cité les Halles, après une tentative avortée (pour cause de Vélib’ défectueux, ça arrive) d’aller au MK2 quai de Seine. À propos de UGC et MK2, la manière dont le second (producteur et
distributeur du film) a verrouillé sur Paris la diffusion de l’œuvre uniquement dans son réseau et celui de son nouveau partenaire de carte illimitée est une manœuvre inquiétante.

 


Quand ?

 

Jeudi soir

 


Avec qui ?

Ma fiancée, grande admiratrice (tout comme moi) du réalisateur

 


Et alors ?

 
 

Gus Van Sant est un cinéaste libre. Les nombreuses bifurcations de sa carrière, entre les commandes hollywoodiennes et le ciné indépendant le plus expérimental, l’avaient bien sûr déjà prouvé,
mais Paranoid Park force à pousser le curseur encore un cran plus loin. Pour commencer, le cinéaste ose sans complexe revenir sur les lieux de son film le plus marquant
à ce jour : Elephant, dont la notoriété a largement dépassé celle de son auteur. Ados à l’allure diaphane et mystérieuse, travellings dans des couloirs de lycée,
récit traitant d’un meurtre, les points de convergence sont nombreux et pourtant rien n’est pareil.

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Paranoid Park
est aussi flottant et libre que Elephant était massif et sans issue. Le sujet prête pourtant tout autant à la solennité – quelle attitude
adopter, à quelle morale se référer quand, comme Alex, le héros du film, on n’a que 16 ans et qu’on a involontairement tué un homme ? Sauf que Paranoid Park ne mène
pas vers un châtiment, mais vers une salvation ; salvation qui s’effectue par l’ouverture de la perception à d’autres modes de pensée et d’action qu’une vision platement matérialiste et
stérile du monde. Paranoid Park conte ainsi une délivrance, en suivant un programme énoncé par Alex alors qu’il n’en mesure pas encore toutes les implications :
« Other things happen. Outside normal life. There are other levels of things ».

 

La tâche qu’accomplit GusVan Sant est d’exploiter tout le potentiel cinématographique de ce leitmotiv, et de l’appliquer à chaque aspect du film qu’il en tire. Cela passe principalement par un
travail phénoménal sur la bande-son, qui dirige les opérations pendant la quasi-totalité du métrage en vertu de la correspondance suivante : l’image exprime ce qui est physique, concret,
matériel ; le son est lui lié à ce qui est spirituel, évanescent, immatériel. S’appuyant sur le style nébuleux du chef opérateur Christopher Doyle (collaborateur de Wong Kar-Wai, entre
autres sur In the mood for love), qui filme souvent les visages en gros plan tout en plongeant ce qui les entoure dans le flou, et ajoutant par exemple à cela des plans
larges très neutres, avec 1 ou 2 personnages perdus au milieu du décor, Gus Van Sant vide les images de leur substance, de leur signification tout en les rendant magnifiques. Un ralenti peut à
tout moment modifier leur avancée ; et même, dans un très bel instant suspendu, un orage fait craindre leur disparition pure et simple.

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C’est donc le son apposé sur ces images qui leur donne du sens. Ce principe est décliné dans presque chaque scène par le cinéaste, sous des formes tellement variées qu’il ne s’agit en aucun cas
d’une recette formaliste vite essoufflée, mais bien d’un foisonnement incessant de création, de vie, d’audace. Certaines utilisations sont très simples : la voix-off d’Alex se remémorant en
flash-back les faits (qui crée une distanciation sereine), l’accompagnement sonore différent à chaque fois d’une même scène répétée à plusieurs reprises. D’autres tiennent du détail – un dialogue
attrapé au vol entre 2 personnages hors champ, par exemple. D’autres enfin sont plus frontales, pour imposer sans discussion une direction : sans oublier les réutilisations de musiques d’anciens
films (celles de Nino Rota pour Fellini), citons le joyeux morceau Let me help sur un travelling qui devrait être plein de suspense ; un ruissellement d’eau qui se transforme en
mélange de bruits métalliques et de cris de corbeaux pour montrer comment une douche purificatrice tourne à la bouffée d’angoisse ; un brouhaha dans le jardin en contrebas entendu très
nettement alors qu’Alex fait l’amour pour la 1ère fois avec sa copine, visiblement sans concentration aucune.

 

Dans les 2 derniers cas, le cadrage et la lumière sont employés de manière à effacer presque entièrement les corps de l’image. Paranoid Park est un film sonore, par
opposition au cinéma muet des premiers temps, où tout passait par l’image et rien ou presque par le son – rapport de force totalement inversé par Gus Van Sant. Du coup, l’image qui devrait être
le climax du récit, celle du vigile scié en deux par un train après avoir été bousculé par Alex, en est au contraire l’angle mort, dénué d’impact, d’exposition, et donc de conséquences.
Les seules images du film à avoir droit au chapitre seront celles de la fin : de même qu’Alex trouve un moyen de faire interagir son bouillonnement intérieur avec le monde extérieur pour se
libérer du poids de la culpabilité, sons et images s’associent alors, avec des plans composés, travaillés, signifiants qui viennent enfin répondre aux chansons se déployant avec grâce sur la
bande-son. Après 90 minutes de film et 20 ans de carrière, Gus Van Sant atteint avec Alex un nirvana serein et miraculeux, qui voit les questionnements moraux de ses derniers longs (de
Gerry à Last days) recouverts du voile d’insouciance et de fécondité directement issu des Mala noche et autres
My own private Idaho de ses débuts. Ce faisant, il signe tout simplement l’un des chocs cinématographiques de 2007.

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