• Nuits blanches, de Luchino Visconti (Italie, 1957)

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notti-2Où ?

Au Champo, où le film est ressorti en copie neuve juste avant Noël (et passe encore)

Quand ?

Mardi soir

Avec qui ?

MaFemme

Et alors ?

 

L’histoire de Nuits blanches est connue des cinéphiles d’aujourd’hui, puisqu’elle vient d’une nouvelle de Dostoïevski (portant le même nom) également utilisée comme inspiration
par James Gray pour son déchirant Two lovers.
Cette histoire, c’est celle d’un homme qui tombe amoureux fou d’une femme qui n’a d’yeux que pour un autre homme. Ce rival restant inaccessible durant la quasi-totalité du récit, le héros
parvient à faire reporter vers lui une partie de l’attention et de l’attachement de celle qu’il désire… mais ce transfert reste, irrémédiablement, trop fragile.

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L’orientation choisie par Luchino Visconti est aux antipodes de celle de Gray. Il situe son histoire non pas dans le monde réel, où elle serait une aventure parmi d’autres, mais dans un univers
artificiel et assumé comme tel, qui n’existe qu’en tant que support à ce récit. À une exception près (la poignée de saynètes de détente comique montrant Mario, le héros, aux prises avec la
tenancière de la pension où il loge), le découpage de Nuits blanches ne donne à voir que des séquences motivées par la progression et la résolution du cœur romantique de
l’intrigue. C’est celui-ci qui fournit au couple de personnages principaux leur seule raison d’être à l’écran ; ce faisant, leur seule raison d’exister. Appliquée aux autres figures de
l’histoire, cette logique aboutit à un résultat encore plus radical. Le troisième sommet du triangle, l’étranger dont Natalia est restée amoureuse même après son départ sans plus donner de
nouvelles, n’existe qu’au sein du flashback relatant leur rencontre. Présentée en un seul bloc malgré sa durée conséquente, cette réminiscence prend des allures de prison dans laquelle l’étranger
est enfermé strictement.

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Quant aux seconds rôles, ils n’existent tout simplement pas. Ce ne sont que des silhouettes contre lesquelles Mario et Natalia se heurtent au détour d’un plan ou d’un rapide dialogue ; des
ombres qui disparaissent aussi promptement qu’elles sont apparues. Ces habitants sont aussi fictifs et purement utilitaires que l’est leur ville de Livourne – ou plus exactement les quelques
portions de cette ville qui ont été reconstituées en studio pour le film. Visconti est comme la mère-sorcière de Coraline, ne reproduisant que les parties du monde qui
sont nécessaires à ce qu’il a en tête pour ses protagonistes. Tout dans la mise en images de Nuits blanches en fait une œuvre partageant énormément avec l’univers des contes en
général. L’artificialité de la forme, exécutée avec une maîtrise éclatante, prolonge celle du scénario et même la rehausse. Visconti tire du tournage en studio des mouvements de caméra superbes,
et surtout une photographie renversante de beauté, avec des contrastes aux multiples nuances et des jeux d’ombre et de lumière que seul le noir et blanc peut offrir. L’intensité passionnelle du
pas de deux désynchronisé accompli par Mario et Natalia en devient formidable, bouleversante. Elle submerge nos sens en saturant l’écran des fous élans du cœur des deux personnages, et de leur
impuissance terrible à faire un pas en direction de l’autre, de ses besoins. La ferveur amoureuse de chacun est incapable de tels compromis.

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Cette harmonie totale entre la mise en scène et du récit, qui rend les émotions prépondérantes par rapport à ceux qui les expérimentent, fonctionne superbement jusqu’au moment où la divergence
entre Mario et Natalia se transforme en un choc violent, excessif, lui ne voulant plus se séparer d’elle et elle ne voulant pas risquer d’être vue avec lui par l’étranger. Les images qui viennent
alors à l’esprit sont celles de climax tragiques de contes classiques : Cendrillon, Le magicien d’Oz… La tempête externe (l’orage) que Visconti déclenche à cet
instant précis, à la suite de la tempête interne qui a sérieusement chahuté les positions des personnages (la scène de danse, d’une sensualité propre à faire éclater toutes les digues), apporte
la touche finale parfaite à cet immense tourbillon de sentiments. La baisse de tension dans la dernière partie qui suit, laquelle reste très émouvante – surtout les plans qui referment le film –
mais sans la même acuité, donne toutefois raison à James Gray dans son choix d’enrichir les personnages (y compris ceux en arrière-plan) d’une identité, d’une vie allant au-delà de cette passion
particulière. Cela offre à son Two lovers plus de chair, plus de matière pour accorder à sa conclusion tragique en deux temps (« elle », quel que soit son prénom,
accepte, puis se rétracte) toute l’ampleur cinématographique qu’elle peut soutenir. Cela ouvre également la porte à un épilogue plus doux-amer que malheureux ; là, c’est selon sa sensibilité
du moment que chacun se sentira plus touché par l’un ou par l’autre.

 

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