• Noël à la cinémathèque (1/2) : Le crime était presque parfait, de Alfred Hitchcock (USA, 1954)

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dialm-3Où ?

À la cinémathèque, dans le cadre du cycle sur le cinéma en 3D

Quand ?

Lundi soir

Avec qui ?

Seul, dans une salle comble. À raison, tant une projection en 3D de ce film constitue un événement rare, et assurément le point culminant du cycle

Et alors ?

 

Jusqu’à la vague des mois à venir (Tim Burton pour Alice au pays des Merveilles, Steven Spielberg et Peter Jackson pour Tintin…) lancée par le Avatar de James Cameron,
Alfred Hitchcock était le seul cinéaste de renom à s’être essayé à la réalisation d’un long-métrage pensé de A à Z pour être projeté en 3D. Cette technique ayant connu plus de bas que de hauts au
fil des années, sans même compter le fait qu’elle n’a jamais été proposée ni par les chaînes de télévision ni par les DVD, Le crime était presque parfait a très rarement été vu
dans les bonnes conditions. Il s’est retrouvé relégué dans le fond du panier des réalisations hitchcockiennes sans jamais avoir été en mesure de réellement défendre ses chances, tel un film en
couleurs constamment montré en noir et blanc.

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Sans arriver à la cheville de la profondeur d’un Vertigo, Le crime était presque parfait a tout de même un suspense solide et des personnages captivants à proposer. Le
scénario machiavélique échafaudé par l’auteur de la pièce de théâtre d’origine Frederick Knott – un homme désire faire assassiner sa femme pour hériter de sa fortune ; lorsque son plan échoue, il
ruine les arguments et preuves favorables à son épouse afin de faire passer son acte de légitime défense pour un meurtre prémédité – s’étiole certes dans son dénouement laborieux, mais il est
palpitant pendant ses trois premiers quarts. Et Hitchcock sait y faire pour rendre indolore toute la lourdeur potentielle héritée de l’origine scénique du matériau : le décor unique, le nombre
limité de protagonistes, les longs tunnels de dialogues deviennent transparents devant l’œil de sa caméra, comme cela était déjà le cas dans un autre de ses films expérimentaux, La
corde
(un faux plan-séquence de quatre-vingt minutes).

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Et la 3D, dans tout ça ? Elle est employée avec une extrême parcimonie, mais tient un rôle capital dans la réussite du film. Car ce n’est pas le tout d’atténuer l’influence des possibles
handicaps ; il faut aussi et surtout amplifier l’impact des atouts que l’on a dans sa manche. C’est là qu’intervient le relief : à chaque fois qu’il peut renchérir l’impact dramatique d’une scène
par sa capacité à isoler au premier plan un élément ou une personne, par rapport au reste du décor plaqué au fond, en retrait évident. Hitchcock reproduit la manœuvre une poignée de fois au cours
du Crime était presque parfait, mais c’est surtout la première qui marque les esprits. Le plan, déjà fameux en deux dimensions, de Grace Kelly tendant le bras derrière elle –
droit vers le public – pour y attraper une paire de ciseaux qu’elle plante dans le dos de son agresseur prend tout son sens en 3D. C’est d’autant plus le cas que ce plan est le point culminant
d’une séquence toute entière tournée et travaillée de manière à dissocier nettement l’actrice de son environnement. La sensation de malaise ainsi produite est éclatante, et tranche brutalement
avec le cadre jusque là très neutre donné au récit. Elle persiste ensuite par le simple souvenir de l’impact de ces quelques plans en relief, de leur discordance. La suite du film s’en trouve
maintenue dans une ambiance de cauchemar éveillé qui culmine dans une autre séquence s’appuyant sur la 3D : le procès du personnage de Grace Kelly, qui annonce la scène d’hallucination de
Vertigo.

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La version en relief du Crime était presque parfait voulue par son réalisateur rappelle que la 3D n’est rien d’autre qu’un outil visuel. Elle est donc tout à fait appropriée pour
booster les films de genre (thriller, horreur, science-fiction…), en particulier entre les mains des maîtres de ces genres – Hitchcock trônant au sommet de ceux-ci. Cette version permet aussi
de se rendre compte que le procédé n’a en définitive pas fait de progrès renversants en un demi-siècle. Le crime était presque parfait vu avec les lunettes adéquates fait un peu
mal à la tête à la longue, mais pas plus que le récent Meurtres à la
Saint-Valentin 3D
. La nouveauté qui pourrait cette fois pérenniser le cinéma en relief est à chercher ailleurs : dans l’apparition ces dernières années des techniques de
génération d’images par ordinateur (dessins animés, motion capture…). Celles-ci font en effet disparaître les notions de parties floue et nette dans le cadre – adieu le mal de crâne
devant les arrière-plans flous intensifiés par la 3D – et offrent un contrôle total sur chaque petit pixel de l’image – bonjour la possibilité de moduler beaucoup plus finement l’effet 3D que
l’on désire appliquer. Le relief a tout à gagner à cette (r)évolution ; mais il risque aussi de trouver là la voie d’une ghettoïsation irréversible.

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