• My magic, de Eric Khoo (Singapour, 2008)

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Où ?

Au MK2 Beaubourg

Quand ?

Samedi, à 17h30

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Il n’est pas nécessaire de faire long pour frapper fort. J’avais déjà traité le sujet à travers plusieurs exemples dans cette chronique (loin d’être exhaustive), exemples auxquels le My
magic
du singapourien Eric Khoo, sélectionné en compétition officielle à Cannes cette année, vient joliment s’associer. Si le film ne dépasse pas les 75 minutes, c’est bien le fait d’une
volonté du cinéaste plutôt que d’un manque d’inspiration de sa part – le synopsis est en effet suffisamment fourni en personnages et en péripéties pour aspirer à une durée plus usuelle. En
choisissant d’être succinct, Khoo ne mène à l’écran qu’un concentré de mélodrame, étouffant et impressionnant comme pouvaient l’être les œuvres équivalentes des premiers temps du cinéma – œuvres
très courtes elles aussi -, où n’existaient que les scènes indispensables à la progression soutenue et inéluctable du drame en cours.


Le héros de My magic est un lointain cousin de celui joué par Bruce Willis dans Incassable de M. Night Shyamalan : quasiment insensible à toute douleur
physique, il peut tout aussi bien se faire écarteler ou transpercer la peau avec des aiguilles sans en souffrir outre-mesure. Parce qu’il ne vit pas dans une métaphore hollywoodienne à grand
spectacle mais dans un film socialement lucide de Singapour (l’action pourrait d’ailleurs se dérouler dans n’importe quel quartier défavorisé d’Asie, voire du monde), ce héros voit ses
super-pouvoirs plus que compensés par une situation personnelle lamentable et sans amélioration notable à espérer. Laquelle est résumée avec une efficacité virtuose en un unique plan fixe, qui
ouvre le film : accoudé à un bar désert, un homme obèse et alcoolique enchaîne verre sur verre. Lorsque le barman lui demande de payer, il le provoque en brisant puis mastiquant son verre,
avant de subir sans broncher ses coups de queue de billard. Tout cela, comme les « tours » qui suivront, est réalisé sans trucage : l’acteur Francis Bosco est réellement capable
des prouesses physiques de son personnage (ce qui a forcément dû jouer dans la genèse du film).


Qui plus est abandonné par sa femme et vivant dans un taudis, notre super-héros n’a plus qu’une seule mission en vue : retrouver l’estime de son fils qui ne voit en lui qu’une loque
irrécupérable, et surtout lui assurer financièrement l’espoir d’un avenir meilleur. Pour le père comme le fils, le nerf de la guerre est en effet l’argent. La concision du récit rend cette
évidence encore plus violente : faute de place entre la première et la 75è minute, il n’est fait mention d’aucune autre possibilité pour eux de gagner de quoi survivre qu’en se mettant au
service de malfrats petits ou grands – le père décide de remonter sur scène dans un cabaret tenu par un chef de gang cruel, et le fils fait les devoirs des loubards de son âge qui zonent dans les
cages d’escalier de son immeuble.


En elle-même, l’histoire de My magic est immémoriale et sans surprises : après que l’espoir d’un avenir meilleur ait paru brièvement possible, les personnages se feront
inévitablement écrasés par la force de l’ordre des choses. Comme c’est souvent le cas avec des récits resserrés, l’important n’est pas tant la tragédie en elle-même que ce qu’elle parvient à dire
sur notre monde – le petit bout de la lorgnette comme moyen d’accès aux vérités générales. C’est pour cette raison que les quelques écarts naïfs du film ont peu d’importance. Ce qui est
important, c’est que My magic rejoint ses prédécesseurs des années 20-30 sur le fond autant que dans la brièveté, en se faisant le témoin d’un monde où la folie de l’argent roi
oppresse les plus faibles et rend tout projet de communauté, d’espérance, d’amour (la haine initiale du fils envers son père) chimérique. Se voulant malgré tout optimiste, Khoo offre au bout du
compte à ses personnages une échappée belle hors de la ville, suivie par une rédemption finale particulièrement émouvante, visuellement aussi inspirée que le plan d’ouverture. Là encore, le
message est limpide et on ne peut qu’y adhérer : combien même certains tenteront d’en tirer un profit ou de les dévoyer à leur compte, les forces de l’imaginaire et de la création reste la
plus belle lueur d’espoir dans l’horizon humain. En tirant un film de ce que réalise son héros / acteur, Eric Khoo ne fait finalement que mettre son art au service de cette conviction.

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