• Mother, de Bong Joon-ho (Corée, 2009)

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mother-1Où ?

Au ciné-cité les Halles, dans une petite salle affichant semble-t-il toujours complet tant le film est sous-diffusé sur Paris (on s’y était déjà cassé les dents mardi dernier, finissant devant
In the air)

Quand ?

Samedi soir

Avec qui ?

MaFemme

Et alors ?

 

mother-3Que faire une fois que l’on a donné naissance à une œuvre
monumentale et pléthorique, telle que The host ? A priori quand on n’a que quarante ans, et encore une grande partie de sa carrière devant soi. Pour Bong Joon-ho, la réponse
a été de revenir se couler dans le moule d’un genre déjà travaillé et maîtrisé, le film d’enquête policière. C’est dans cette veine que le réalisateur s’était fait connaître avec son singulier
Memories of murder, qui contenait déjà en germe la plupart des composants du mélange détonant de The host. Mother ressemble dès lors inévitablement
à un retour aux sources, aux acquis ; voire, si l’on n’y prend pas garde, à une parenthèse entre deux films d’importance.

 

La trame de Mother est tangente à celle de Memories of murder : il y est de nouveau question d’un meurtre commis dans une ville de campagne étrangère à ce
genre de drame, et d’un débile mental léger accusé à la va-vite par des policiers moyennement compétents et trop heureux de clore l’affaire sans avoir à y regarder de trop près. Cependant
Memories of murder se basait sur une histoire réelle, et s’y tenait fidèlement jusque dans la non-résolution du mystère. Mother, pour sa part, est une
variation fictionnelle de cette intrigue. Cela lui donne la latitude pour intégrer un personnage – la mère du titre – autrement plus complexe et captivant que les figures transparentes car
dépassées par les évènements de Memories of murder ; et pour s’orienter à mi-parcours sur une piste menant à la révélation de l’identité de l’assassin.

 

A partir du moment où il suit cette direction, Mother devient en surface un peu mécanique, téléguidé. Ne sont conservés parmi la somme d’éléments introduits dans les premiers
temps du récit que ceux ayant leur place dans le processus de dénouement de l’intrigue proprement dite. Bong écarte les à-côtés qu’il avait si bien introduits dans la première partie : la
personnalité embrouillée, insoluble de l’idiot du village ; la peinture d’une ville profondément coupée en deux, de façon presque moyenâgeuse, entre les riches qui ont tout le pouvoir, tout
le savoir et toutes les influences, et la plèbe qui doit se contenter des miettes. Cette réduction du champ des opérations débouche toutefois sur un thriller très efficace, suffisamment alimenté
en suspense étouffant et en retournements insoupçonnés et amoraux pour ne jamais perdre le rythme. En particulier, l’idée de renfermer la clé de l’énigme dans une séquence d’inspiration
directement « De Palma-esque » (un témoignage visuel tronqué, à compléter par un autre point de vue, d’autres souvenirs) est aussi remarquablement bien pensée qu’exécutée.

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Au sein de ce fonctionnement en apparence binaire (une interrogation = une explication), la complexité du film est toute entière portée par le personnage de la mère du coupable désigné, qui mène
sa propre enquête afin d’innocenter son fils. Mais les découvertes qu’elle fait sur celui-ci ainsi que sur la victime exposent surtout sa culpabilité – envers son fils, devenu attardé et
dangereux par sa faute – et celle de sa génération prise dans son ensemble. La fille assassinée était ainsi une lycéenne lointaine cousine de Laura
Palmer
, qui couchait avec tous les hommes de la ville par dépit et écœurement envers le monde qui l’entourait. On trouve là aussi une filiation avec De Palma, thématique cette
fois : à l’instar de ce qui se produit chez ce dernier (Snake eyes, Le dahlia noir pour citer deux exemples parmi les plus récents), les failles initialement
présentes dans le récit d’un meurtre agissaient en réalité comme une protection psychologique. Chercher à combler ces blancs fait ressurgir des fantômes, des péchés dont la capacité
ravageuse sur l’esprit de l’enquêteur annule la satisfaction d’avoir fait émerger la vérité. The host était une allégorie qui donnait une figure concrète à la prédisposition des
dictatures, manifestes ou maquillées, à engendrer des monstres. De manière plus rampante, Mother raconte le même processus : la dictature conservatrice des parents y
transforme les enfants, perçus comme incontrôlables, en des monstres pires que ceux qu’ils craignaient de voir naître.

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Moyennant quelques crimes et délits supplémentaires à ajouter à son passif personnel, la mère effacera les traces de sa responsabilité propre – et transférera le poids du meurtre d’un jeune à un
autre, tout aussi vulnérable. La séquence finale achève en beauté cette métamorphose du personnage de la mère, du statut d’instrument du récit (elle mène une enquête sur des évènements qui ne la
concernent pas) à celui de centre d’intérêt principal. Par un artifice de scénario, Bong lui permet d’oublier toutes ses fautes. On dit que la fin justifie les moyens, et c’est vrai ; car la
commodité de ce subterfuge ne pèse rien face à la force du plan terminal sur lequel il débouche, où la mère se fond dans une masse d’autres parents potentiellement aussi coupables et
auto-blanchis qu’elle.

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