• Mirrors, de Alexandre Aja (USA, 2008)

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Où ?

Au ciné-cité Bercy

Quand ?

Mardi soir, en avant-première

Avec qui ?

Seul, en raison de mon incertitude quant à la qualité du film

Et alors ?

Mirrors est un remake américain d’un film coréen, écrit et réalisé par des français, et tourné presque intégralement en Roumanie. Dans cette répartition mondialisée des tâches
(les inspirateurs, les financiers, les sous-traitants, les petites mains), l’étage qui m’intéresse est celui du réalisateur, Alexandre Aja, et de son coscénariste Grégory Levasseur. Le duo est en
effet l’exemple le plus emblématique de l’état du cinéma d’horreur français : un film plein d’envie et de talent mais mal financé, mal produit, mal distribué et au final presque pas vu, puis
un exil doré à Hollywood pour y réaliser des films dans des conditions plus confortables mais aussi plus contrôlées. Si le cas Aja/ Levasseur est emblématique, c’est parce que leur film français
(Haute tension, avec Cécile de France) est un bijou du genre, sans égal chez nous ; et que leur ticket d’entrée aux USA a consisté en la réalisation d’un remake (La
colline a des yeux
, classique des années 70) commercial, abruti et idéologiquement vomitif.

Maintenant qu’ils ont à ce point montré patte blanche, Mirrors constitue pour Aja et Levasseur un véritable test quant à la viabilité artistique de leur choix de carrière. Un test
dont le résultat n’est qu’à moitié convaincant, tant le film est victime d’une schizophrénie aussi violente que celle d’un de ses personnages (mais chut ! pas de spoiler). L’épine
dorsale du récit est le duel plus ou moins à distance entre Ben, l’antihéros de service (Kiefer Sutherland, revenu à ses rôles de jeunesse de loser inquiétant – cf. Dark city) et
la force maléfique qui semble vivre dans les miroirs du centre commercial, frappé par un incendie des années plus tôt, où Ben travaille comme veilleur de nuit. Ces miroirs ont le pouvoir
d’inverser le rapport réalité / reflet : ce qui se passe dans le miroir impacte le vrai monde, plutôt que le contraire. Ainsi, le fait de voir son reflet brûler fait ressentir à Ben les
brûlures, bien que tout cela ne soit qu’illusion. Même si Aja, Levasseur et leurs producteurs n’ont peut-être pas poussé la réflexion jusque là, ce concept de départ est une remarquable métaphore
du pouvoir du cinéma (et en particulier du cinéma d’horreur) ; de même que le bâtiment du centre commercial, avec sa situation au cœur de New York, son architecture écrasante des années 1920
(façade à colonnades, ameublement art déco), ses armées de mannequins carbonisés et ses secrets enfouis est un énième dérivé symbolique de Ground Zero, lieu à la fois tétanisant et
fascinant, dont la marque indélébile et les souvenirs qu’il charrie font dérailler ceux qui s’en approchent.

Ainsi armé, Mirrors semble devoir suivre la voie de ses glorieux prédécesseurs qui font passer en contrebande l’air du temps – vicié – de leur époque tout en remplissant haut la
main son cahier des charges de sursauts et de frayeurs. Revenant à la recette idéale de Haute tension (un minimum de personnages, un maximum de mise en scène), plaçant leur
scénario au confluent d’influences telles que Ring, The X-files, Silent Hill, Aja et Levasseur balayent avec succès et sans crier gare des pans
entiers du genre – maison hantée, pacte infernal, monstre, monde parallèle… Le tout mâtiné d’une séquence choc de « Dites Aaaah » du plus bel effet, et de plusieurs
trouvailles délicieusement amorales dont la plus belle arrive en toute fin de parcours.

Où est la schizophrénie dans tout ça, me direz-vous ? En mode mineur, dans quelques errements passagers et évitables du script – un indice qui tombe du ciel, une séquence où Kiefer
Sutherland redevient Jack Bauer au mépris de toute logique autre que celle d’un acteur/producteur refusant de se laisser complètement aller. Et en mode majeur, dans une intrigue secondaire
artificiellement rattachée au reste, qui met en scène l’ex-femme et les enfants du héros. On se croirait revenu aux pires heures de La colline a des yeux : c’est mal écrit,
mal joué, sans rythme, et nourri par une morale conformiste insupportable. Comble du comble, la logique horrifique du film est purement et simplement retournée dans ces scènes, afin d’assurer la
survie de ces personnages : les miroirs n’attaquent plus mentalement mais physiquement, ce qui est tout de suite bien plus restrictif et moins intéressant. Cela fleure bon l’autocensure
partielle pour faire plaisir au studio, et pose une double question qui obscurcit quelque peu l’avenir : Aja et Levasseur seront-ils capables un jour de s’assurer une véritable autonomie à
Hollywood ? Et ne sont-ils pas un tout petit peu réacs sur les bords, à mettre autant de cœur pour s’acquitter des pans les plus rustres de leurs films ?

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