• Maurice, de James Ivory (Royaume-Uni, 1987)

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Où ?

A la maison, en DVD zone 2 édité par MK2 (les bonus sont excellents – normal, ils ont été récupérés d’un Criterion zone 1)

 

Quand ?

Mardi soir

 

Avec qui ?

Ma femme

 

Et alors ?


Le secret de Brokeback Mountain dans l’Angleterre des derniers feux de l’ère victorienne : voilà le pitch permettant de vendre Maurice, film réalisé en 1987, aux
spectateurs post-2006. Cette deuxième adaptation par James Ivory d’un roman de E.M. Forster, après Chambre avec vue et avant Retour à Howards End, commence avec
l’éclosion de la passion homosexuelle de deux hommes de la bonne société, Maurice – James Wilby, revu entre autres dans Gosford Park – et Clive – Hugh Grant, épatant et presque
méconnaissable au vu du vortex de niaiserie dans lequel il est tombé depuis. Cette passion est vite contrecarrée par les convenances de leur classe sociale et les mœurs de l’époque, car
l’homosexualité était encore considérée comme un délit en Angleterre en ce début de 20è siècle et le restera jusqu’en 1967. Un aparté du récit sur le sort d’un des personnages secondaires – un
Lord piégé dans un bar, attrapé en flagrant délit d’homosexualité (cela fait bizarre d’écrire une telle phrase), traîné devant le tribunal et humilié pour le restant de ses jours par le scandale
– expose de manière implacable l’épée de Damoclès qui surplombe les jeunes amants.

Clive et Maurice se rencontrent sur les bancs de l’université de Cambridge, et mettent à profit l’ambiguïté tacite de ce bastion proclamé de la bonne éducation de l’élite anglaise qui dans le
même temps encourage la curiosité, l’expérimentation, la propension à voir au-delà des règles établies en tombant amoureux l’un de l’autre. Mais au moment de transformer les premiers émois en
quelque chose de plus fort, de plus concret, et donc de devoir faire face aux dangers soulevés par une telle décision, ils vont s’engager dans des chemins opposés. Clive, qui avait pourtant fait
le premier pas, se rétracte brutalement et rentre dans le rang afin de ne pas hypothéquer son honneur et sa prometteuse carrière politique ; Maurice, moins tenu par des exigences de caste et de
nature plus rebelle et audacieuse, fera quant à lui le choix d’assumer pleinement sa différence.

Malgré l’avertissement émis par le cas du Lord, ce n’est pas tant ce que Maurice peut perdre qui est mis au cœur du récit que ce qu’il a à gagner dans ce processus d’affirmation de soi : une
inégalable libération. Ivory use donc très peu de ressorts dramatiques, et ne vise à aucun moment à échafauder un suspense menaçant. Sa mise en scène à plusieurs degrés de lecture tient plus de
la chronique des agissements des différents protagonistes. En apparence, Maurice est un film mené à vive allure, une succession de scènes très courtes dominées par une grande
sécheresse de ton. Ce détachement de façade retranscrit fidèlement la chape de plomb imposée aux personnages par leur milieu, l’interdiction qui leur est faite d’exprimer la moindre émotion trop
violente au risque de se ridiculiser socialement. Toutes ces émotions ravalées, le film nous les communique cependant à l’insu des protagonistes, trahis par les décors et costumes, la
représentation à l’écran de leurs rêves et cauchemars, et surtout par la musique. Celle-ci instille en permanence une énergie sensuelle et romantique tellement sûre d’elle-même que rien ne peut
la contester ; et en grande partie grâce à elle, la soif de liberté de Maurice irradie chaque instant du récit.

Ivory use avec habileté de ces armes de cinéaste pour exacerber ce que tous, Maurice excepté, souhaiteraient passer sous silence : l’incapacité qu’a leur société agonisante (les maisons tombent
en ruine) et étouffée par ses usages d’un autre temps (la moustache comme symbole visuel clair de virilité et de maturité) à accepter une quelconque émancipation individuelle. Au-delà de
l’homosexualité, c’est en faveur du droit à la différence quelle qu’elle soit face à une norme toujours restrictive que plaide Maurice ; ce qui en fait une histoire sans âge,
autant d’actualité aujourd’hui qu’il y a vingt ans ou un siècle. L’engagement de l’œuvre en faveur de cette cause est sans faille et exalté (le fait que Maurice trouve le bonheur en compagnie
d’un valet, d’un prolétaire, n’est ainsi évidemment pas anodin), avec pour point d’orgue la rêverie dépitée de Clive qui le clôt le film. Sur le dos de ce personnage de vaincu, c’est un cri de
victoire rageur que pousse Ivory lorsqu’il transperce la réalité cadenassée de cet univers, avec pour arme un simple plan en flashback. Ce happy-end inversé – montrer les regrets de celui
qui a eu tort pour célébrer le triomphe de celui qui a choisi l’autre route – est un joyau.

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