• Los olvidados, de Luis Buñuel (Mexique, 1951)

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Où ?

A la Cinémathèque, dans le cadre de la rétrospective consacrée au réalisateur. La grande salle était le lieu de la séance, mais la copie était par endroits d’une très médiocre qualité (image
floue, sans grain, et bande-son altérée par un bourdonnement grave avec lequel le projectionniste s’est battu sur la plupart des bobines)

 

Quand ?

Mercredi soir

 

Avec qui ?

Seul

 

Et alors ?

 

Temporellement et thématiquement, Los olvidados se situe à mi-chemin entre Rome ville ouverte de Roberto Rossellini et Les 400 coups de François Truffaut en nous contant la tragique dérive dans la
délinquance (qui tourne rapidement à la criminalité) d’une bande de gamins et d’ados, survivant dans les bidonvilles insalubres de Mexico filmés avec un froid réalisme. Le cahier des charges
accompagnant ce sujet et auquel doit se plier Luis Buñuel est particulièrement pesant. On y trouve dès l’introduction une voix-off assommante, qui insiste lourdement sur l’inspiration de faits
réels et expose de manière pataude les thèmes du film à venir. Ce monologue trouve plus tard sa continuation dans des harangues et des scènes absolument transparentes dans leur intention
d’informer le spectateur sur les réponses constructives que la société a à offrir à ces jeunes livrés à eux-mêmes. On croirait voir des publi-reportages prémâchés sortis du Truman
show
ou d’une campagne gouvernementale. Et ce d’autant plus que face à ces bonnes volontés présentées sans réserve, la force maléfique du film, le leader des olvidados
Jaïbo, a un casier chargé à ras-bord : il tabasse pour le plaisir un aveugle sans défense, il ment, vole, tue sans trop de remords, est habité par des pulsions sexuelles insatiables,
séduit – et couche avec – la mère d’un sous-fifre de 10-12 ans, Pedro, condamné à tort à sa place… Le manichéisme du mélo édifiant rode autour du film.

Mais Buñuel s’en sort remarquablement, et parvient à élever Los olvidados au niveau d’un drame social poignant et sans issue. Les personnages gagnent en complexité au fil de
l’histoire, et révèlent tous en définitive une nature profonde tiraillée entre des aspirations contradictoires, chez les enfants (le jeune Pedro tout particulièrement) comme chez les adultes – la
mère de Pedro, courageuse et déterminée jour après jour à offrir une vie décente à ses enfants mais qui l’abandonne sans hésiter ; le vieil aveugle que l’on plaint au premier abord et qui finit
par dévoiler penchants réactionnaires et répressifs qui glacent le sang. La réalité du quotidien et ce qu’elle requiert comme décisions et sacrifices érigent un mur immuable face aux velléités
humaines fondamentales des protagonistes, dénuées de toute once de méchanceté : être aimé, avoir un toit où dormir, un peu d’argent pour manger. Visuellement, cette barrière s’exprime à travers
la rudesse de la photographie, des décors, des « gueules » des personnages secondaires ; il en découle un réalisme tellement appuyé qu’il en devient irréel, un univers de conte de fées
inversé, perverti, vicié.

Dans Los olvidados, Buñuel n’est pas encore le cynique des décennies à venir (Viridiana et autres) ; il se pose en humaniste pessimiste. À ses yeux, l’homme est fondamentalement bon, et les circonstances de son existence
peuvent inexorablement le dévier de cet Éden perdu. Le plaidoyer est frappant dans le destin final de Jaïbo, lequel se fait tuer d’une balle dans le dos en fuyant des policiers, après avoir
commis sa pire atrocité (le meurtre de Pedro). Contre toute attente, Buñuel utilise l’agonie de ce personnage pour le racheter à nos yeux ; par une plongée dans ses dernières pensées (d’amertume,
de regrets), ses derniers souvenirs (le seul moment de tendresse de sa vie qu’il ait en mémoire), à l’aide d’une voix-off cette fois-ci réellement habitée et s’appuyant sur un long gros plan fixé
sur le visage du mourant.

Après avoir observé sans ciller l’intégralité de cette spirale de violence dont personne ne sort vainqueur (ni même indemne), Buñuel détourne pour la première fois le regard dans le dernier plan
du film – comme si c’en était soudain trop, qu’il n’en pouvait plus. La jeune fille et son gd-père dans la grange desquels Jaïbo se réfugiait des fois, et où il a tué Pedro, vont jeter le corps
de ce dernier dans un fossé loin de la ville afin de ne pas être mêlés aux répercussions de cette affaire. Leur acte est filmé de loin, en un unique mouvement panoramique partant de la carriole
des deux vivants au corps du mort dégringolant vers le fond de la tranchée. La caméra revient ensuite vers la jeune fille et le grand-père… et les dépasse, les fait disparaître hors-champ pour
se fixer sur un arbre plus loin au bord de route en surimpression duquel s’affichera le mot « Fin ». Le cynisme à venir de Buñuel commence peut-être là, dans ce dépit suprême face aux
conditions de vie de ces gens et à ce qu’elles les poussent à faire.

 

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