• Let’s make money, de Erwin Wagenhofer (Autriche, 2009)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles

 

Quand ?

Jeudi soir, à 22h30

 

Avec qui ?

Ma femme

 

Et alors ?

 

Mis en chantier aux premiers signes de la crise financière et économique actuelle, Let’s make money est une excellente piqûre de rappel pour vacciner tout un chacun contre les
interventions lénifiantes régulières – point d’orgue en date : le G20 de Londres – qui voudraient nous faire croire que tout ceci n’est qu’un court mauvais moment à passer, que les choses
vont s’arranger car elles sont de nouveau sous contrôle. Sous contrôle, l’économie mondiale l’est en effet ; celui des mêmes personnes et organisations qu’avant la crise. C’est sur leur
trace que nous emmène Erwin Wagenhofer, soit qu’ils soient physiquement présents devant sa caméra (PDG autrichiens en visite express dans une usine indienne, gérants de fonds d’investissement
« dynamiques »), soit qu’ils laissent parler à leur place les séquelles concrètes de leurs opérations financières à but fortement lucratif. Parmi celles-ci, surréaliste est la vision de
ces barres d’immeuble défigurant la côte méditerranéenne de l’Espagne – ça, on le savait – et qui restent invariablement vides de tout occupant – là, les bras nous en tombent.

 



Voir un principe aussi fondamental que le logement ainsi dépossédé de sa substance et réduit au rang d’outil boursier est l’exemple le plus stupéfiant du processus en cours de réalisation par les
forces néolibérales, celui qui le met le plus à nu. On parle là d’une totale déshumanisation, pire encore d’une vitrification – comme après l’explosion d’une bombe atomique – à travers laquelle
tout ce que l’homme, et la nature, ont édifié jusqu’à maintenant doit être figé dans son état actuel, rentabilisé au maximum puis abandonné à son pourrissement provoqué. La quête du profit
immédiat, ce nouveau veau d’or parfaitement résumé par le double sens de l’expression anglaise « make money » (au figuré, to make = gagner de l’argent ; mais au propre, to
make = fabriquer cet argent, à partir de rien), aveugle ses adeptes idolâtres et leur masque le mur contre lequel ils vont forcément finir par se fracasser – en nous emmenant avec eux. Car un
jour prochain, il n’y aura plus de matières premières à pomper sans discernement, de terres attractives à bétonner, d’entreprises à endetter au-delà du soutenable tout en partant avec la caisse
(via le principe délirant du LBO), de pays où les salariés sont moins chers et plus
malléables que le voisin… Mais pour le moment, ainsi que le dit très justement le film, il y a encore suffisamment d’individus, du petit chef anonyme au responsable politique mondial, prêts à
fouler leur éthique aux pieds contre la promesse d’une commission ; et suffisamment d’argent pour allouer prodiguer ces commissions et ainsi huiler les rouages du système.

 



Let’s make money est une très estimable, et globalement exhaustive, conférence introductive à tous ces mécanismes financiers carnassiers et à leurs fondements idéologiques
néfastes. Cinématographiquement parlant, l’austérité du film et parfois son laisser-aller – pas d’effort visuel sous prétexte qu’il s’agit de documentaire – le placent un cran en-dessous du
précédent long-métrage de Wagenhofer, We feed the world. Ce dernier bénéficiait il est vrai d’un thème plus ciblé, donc plus concevable ; mais surtout il était porté par des
personnalités fortes, qui donnaient un visage aux forces en présence – Jean Ziegler, le rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation, ou encore Peter Brabeck, le PDG de Nestlé qui
rêve d’un monde où l’accès à l’eau serait entièrement privatisé et les usines débarrassées de toute présence ouvrière. Ce manque d’incarnation, bien qu’au cœur de son sujet, fait de Let’s
make money
un objet quelque peu distant, à peine déridé par l’apparition du bouffon de service qu’est le Premier Ministre de Jersey. La fierté que cause à ce pantin de forces qui le
dépassent le système machiavélique et hautement sophistiqué d’évasion fiscale mis en place par son île ne doit être égalée que par la félicité de se savoir à l’abri de la liste noire (vide, rappelons-le), et même de la liste « gris clair » des paradis fiscaux édictée par le G20 pour mieux enterrer la question.

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