• Les scènes nocturnes de « La charge héroïque » (John Ford, USA, 1949)

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Où ?

A la maison, en DVD zone 2 des éditions Montparnasse (décevant au niveau du travail éditorial, en particulier les sous-titres émaillés de fautes)

Quand ?

Dimanche

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

L’introduction au film présente sur le DVD parle avec assurance d’un « véritable hommage de John Ford envers l’armée américaine ». On pourrait difficilement imaginer plus
grosse bêtise, un peu comme si on traitait La prisonnière du désert de film anti-Indiens. Comme La poursuite infernale, autre western majeur du cinéaste, La
charge héroïque
est un film hautement symbolique, dans lequel la guerre entre les Indiens et les colons blancs n’est qu’un arrière-plan (comme la Rome et la Grèce antique peuvent l’être
dans les pièces de Racine et Shakespeare), choisi par Ford car c’est ce qu’il a le plus tourné et donc ce qu’il maîtrise le plus. Le vrai thème du film est la transmission entre les générations,
sa nécessité et sa beauté.

L’ouverture du film éteint toute velléité d’héroïsme, d’exaltation quant à ce qui pourra se produire au cours du récit. C’est d’abord l’exposition en voix-off d’une situation désespérée (qui
démarre par « Le général Custer est mort… »), puis la présentation d’un exemple tristement concret : une diligence attaquée par les Indiens, et lorsqu’elle arrive à
destination et que quelqu’un en ouvre la porte, un cadavre qui tombe. L’efficacité de la mise en scène glace le sang. C’est avec la même maîtrise totale de son outil que Ford réalise la
présentation, en 2 dialogues avec son second, du personnage de John Wayne, le capitaine de cavalerie Nathan Brittles – revenu de tout, sans plus aucun idéal (et surtout pas patriotique ou que
sais-je), procédurier et râleur… L’utilisation du hors champ, les coupes sur certaines phrases-clés (l’annonce d’une embuscade meurtrière, par exemple), tout est parfait de retenue, de
savoir-faire.

Arrive alors la 1ère scène nocturne du film, qui se déroule en 2 temps : tout d’abord une lecture solennelle, à voix haute des noms des morts de l’embuscade, puis le recueillement de Nathan
devant les tombes de sa femme et de ses enfants (on apprend alors, sans dialogue artificiel, qu’il est veuf). D’une tristesse sourde et poignante, cette double séquence se déroule sur fond d’une
incroyable lumière fauviste, d’un rouge flamboyant et à double sens, comme s’il nous plaçait à la croisée des chemins : menaçant, dangereux, et en même temps plein de vie, de fougue. Ce sont
des scènes nocturnes à l’ambiance semblable qui font tout l’intérêt du mouvement central du film qu’est la patrouille du régiment de Nathan en territoire hostile. Les scènes de jour y sont en
effet très classiques, pour les soldats appliquant consignes et manœuvres habituelles et pour le spectateur rompu aux bases du western. Sauf que Nathan et sa troupe arrivent toujours trop tard
pour sauver les civils de leur camp attaqués par les Indiens, charriant dans leur sillage un sentiment d’impuissance total qui s’exprime pleinement à la nuit tombée. Cette obscurité est l’empire
de la mort, qu’elle soit en cours d’accomplissement (les marchands d’armes tués par les Indiens, en hors champ mais avec leurs cris qui emplissent la bande-son) ou révolue (l’enterrement des
fermiers massacrés) – et toujours avec cette lumière crépusculaire qui emplit le ciel.

La vie, conquérante et radieuse, est elle aussi présente dans La charge héroïque – mais pas en opposition frontale à cette guerre qui tourne au carnage sans fin, où «beaucoup
mourront, mes jeunes hommes, tes jeunes hommes »
. Plus intelligent, plus humaniste, Ford fait triompher des valeurs positives, heureuses, non pas sur le champ de bataille (avec une armée du
« Bien » qui vaincrait les soldats du « Mal » par la seule grâce de ce positionnement moral arbitraire) mais dans l’environnement paisible, protecteur du fort. C’est là que la
fille du colonel expose son caractère sensuel et mutin – devenant ainsi l’une des femmes les plus féminines dans la carrière de Ford. Elle porte en elle toutes les pulsions de vie, des plus pures
aux plus taquines, des plus importantes aux plus gratuites, de l’amour au flirt en quelque sorte. C’est encore dans le fort que le cinéaste réalise une longue et étonnante digression
comique : une séquence de bagarre dans un saloon pleine de bouffonnerie et de bonne humeur, qui fait sincèrement rire aux éclats alors même qu’une partie de la patrouille est encore à la
merci des troupes indiennes. Il n’y aucune trahison à leur égard dans la démarche de Ford, dans cette bagarre comme dans les jeux de séduction : au contraire la certitude que leur survie est
liée de façon diffuse à la survivance de ces émotions positives, adoubées par les vétérans (Wayne, son second) pour être reprises par les générations nouvelles qui les remplacent. C’est donc sur
cette scène dans le saloon que je préfère considérer que La charge héroïque touche au but, plutôt que sur son final effectif (attaque éclair contre le campement indien, épilogue
avec retour de la voix-off) dont le volontarisme forcé semble plus le fait du studio que de Ford.

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