• Les salauds dorment en paix, de Akira Kurosawa (Japon, 1960)

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salauds-1Où ?

A la maison, en DVD zone 2 reçu à Noël

Quand ?

Le week-end dernier

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

 

Le titre du film claque comme une accusation inébranlable. Il donne le ton de ce pendant japonais de Main basse sur la ville, réalisé à la même époque.
Kurosawa est animé par la même colère que Francesco Rosi dans sa dénonciation des ravages de la corruption, son affirmation de la nécessité de lutter contre celle-ci ; et son réalisme sans
illusions quant aux résultats à court terme d’un tel combat.

Les salauds dorment en paix est le premier long-métrage que le cinéaste a entièrement monté par ses propres moyens, au sein de sa société de production alors nouvellement fondée.
Il plaçait ainsi celle-ci, et la suite de sa carrière, sous le signe du cinéma engagé et ne sacrifiant rien aux impératifs commerciaux. Kurosawa producteur n’allait pas être celui qui trahirait
Kurosawa réalisateur. Lequel a mis à profit cette autonomie complète pour appliquer le format d’image Cinémascope (2.35 : 1), qu’il venait d’importer au Japon pour le film d’aventures
La forteresse cachée, à un sujet qui ne le
requérait pas spontanément.

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Un tel choix visuel n’est évidemment pas sans conséquences. Les salauds dorment en paix se détache de sa qualité intrinsèque, honnête mais restrictive, de récit d’une enquête
réaliste et quasi-documentaire pour développer un tempérament épique, tragique. Une scène tournée en format large n’a pas le même impact, ni la même signification que la même enregistrée dans un
cadre 4/3 ou approchant, et ce d’autant plus quand toutes les autres composantes de la fabrication visuelle du film sont pensées dans le même esprit. Sont ainsi éminemment frappants et
dramatiques les décors déshumanisés (les bureaux de l’administration vérolée) ou totalement délabrés (les ruines d’une usine qui servent de cache aux héros) ; les choix de focale
privilégiant la profondeur de champ et la présence de plusieurs lieux d’action dans un même plan ; la photographie noir et blanc tranchante, dont le potentiel terrifiant éclate dans les
scènes nocturnes. Le supplice psychologique infligé à l’une des petites mains de la chaîne de corruption, à coups de fausses apparitions fantomatiques, glace jusqu’aux os.

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Cette dramatisation des enjeux humains de la délinquance en col blanc pénètre également la description des individus. Le personnage central Nishi, incarné par un Toshiro Mifune méconnaissable
avec son costume cintré de bureaucrate et ses lunettes austères, est ainsi le semblable des héros tourmentés des œuvres de Shakespeare adaptées, officiellement ou non, par Kurosawa au cours de sa
carrière. Cela devient prégnant lorsqu’à mi-film Nishi devient tiraillé entre sa soif de justice d’un côté, et de l’autre l’affection qui grandit en lui à l’égard de la fille de sa cible
principale (fille qu’on le voit au début du récit épouser par pur intérêt). Irrémédiablement humain, puisque capable d’empathie et de modération, Nishi n’est-il alors pas trop humain pour mener à
bien sa croisade contre le système de corruption et de dissimulation ? Car un système, par définition, est dégagé de ces considérations d’ordre « sentimental » ; et
l’émiettement des tâches qu’il coordonne entre de nombreux intermédiaires et exécutants assure que l’humanité potentielle de ces derniers ne trouvera pas l’espace suffisant pour s’épanouir.

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A naviguer ainsi entre la sévérité du thriller mécanique, sans âme, et le drame moral, entre l’engrenage des faits et l’introspection des émotions, Les salauds dorment en paix
s’étire exagérément en longueur. Aucune scène n’est réellement inutile ou hors de propos, au contraire (même la longue séquence où Nishi hésite à faire chuter un des corrompus de puis la fenêtre
d’un immeuble, poussive et artificielle de prime abord, est brillamment légitimée dans la foulée par un monologue de Nishi) ; mais on sent passer les 2h30 d’un film qui épouse peut-être un
peu trop les atermoiements de son héros et aurait gagné à être plus serré, plus sec. A l’image de son dernier acte, remarquable formulation cinématographique du renversement du rapport de force
entre les corrompus, qui reprennent alors l’avantage, et Nishi qui passe de chasseur à proie. Auparavant ébranlé et friable, le système redevient alors trop puissant y compris pour le film :
toutes les actions qui assurent sa victoire se déroulent hors champ. Comme les personnages, on ne peut que constater les séquelles, et à partir de celles-ci échafauder des hypothèses impossibles
à prouver et à faire entendre.

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