• Les commentaires audio de « Conversation secrète » (Francis Ford Coppola, USA, 1974)

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A la maison, en DVD zone 1 déniché par hasard à la Fnac pour 9 euros

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Le week-end dernier

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Seul

Et alors ?

Dans les années 70 (et encore maintenant), Francis Ford Coppola était guidé par le désir d’être un auteur total, qui écrit ses propres scénarios originaux et les porte lui-même à l’écran. C’est
sur cette profession de foi que le cinéaste entame son commentaire audio de Conversation secrète, un de ses films restés méconnus malgré tout de même la Palme d’Or en 1974. Ce que
Coppola ne dit pas (de manière explicite en tout cas), c’est que cet idéal est globalement inaccessible aux USA, en raison du poids des grands studios dans le système… Et d’ailleurs,
Conversation secrète lui-même n’existe que grâce à l’immense succès de la commande commerciale que fut Le Parrain.

Signe de l’ambition artistique débordante du cinéaste à cette époque bénie de sa carrière, le point de départ de Conversation secrète vise à mêler l’immense Blow up de Michelangelo Antonioni avec les nouvelles
techniques d’espionnage audio qui fleurissent dans l’Amérique des années 70 – même s’il en est plutôt éloigné thématiquement, le film a été réalisé au même moment que l’affaire du Watergate. Cela
donne une mémorable scène d’ouverture dans le Union Square de San Francisco, pour laquelle l’esprit mégalo de Coppola a imaginé une mise en abyme où la caméra espionne avec précision une
procédure d’espionnage elle-même effectuée avec la plus grande précision possible. Sur son propre commentaire, le monteur du film Walter Munch rentre dans le détail de la fabrication de cette
scène : le long zoom contrôlé par ordinateur (une 1ère à l’époque) du plan d’ouverture, minuté pour durer exactement le temps du générique ; et le tournage effectué en véritables
conditions de filature, donc avec un son incomplet et réenregistré en équipe réduite par lui-même avec les acteurs un peu plus tard, dans un autre parc.

Le zoom initial est en quelque sorte la clé de lecture du film tout entier – jusqu’à son équivalent dans le tout dernier plan, où la caméra effectue des panoramiques semblables à des mouvements
de caméra de vidéosurveillance. Dès la 2è scène, et plusieurs fois par la suite, Coppola évoque – et explique très bien – dans son commentaire le concept de mise en scène de Conversation
secrète
dans lequel la caméra imite un « eavesdropping device », contrôlé selon des mouvements préprogrammés et non par un opérateur humain. L’idée est virtuose non
seulement visuellement, mais aussi sur le plan psychologique à partir du moment où on la couple avec les multiples indices donnés par Coppola sur ses nombreux points communs avec le personnage
central du récit, Harry Caul (Gene Hackman). Conversation secrète se dévoile en effet alors comme une vertigineuse introspection : Coppola le perfectionniste, le control
freak
, l’ultra ambitieux, écrit un personnage qui possède ces mêmes traits de caractère… puis le manipule avec ses propres outils, tel un peintre faisant sans concession son autoportrait.
Caul possède la même manière conflictuelle de bâtir ses relations privées et professionnelles que Coppola, la même foi chrétienne (une superbe scène de confession) et le même autisme colérique du
génie dans son domaine. J’ai évoqué dans un article récent comment James Gray faisait de La nuit nous appartient un grand film car il y affublait de ses propres démons des personnages fictionnels ; 30 ans avant, Coppola
faisait exactement la même chose.

Sous son apparence de thriller appliquant fidèlement les recettes hitchcockiennes (Caul se convainc que l’enregistrement qu’il a réalisé à Union Square va mener à un meurtre, cherche à en avoir
le cœur net puis à intervenir), Conversation secrète est traversé par une lucidité et une prise de recul étonnantes. Coppola décrit un personnage qui certes lui est semblable
mais, loin de le glorifier, il le crucifie en démontrant cruellement par son violent renversement final que l’art pour l’art, aussi parfait soit-il (l’enregistrement à Union Square est un bijou,
le sommet de la carrière de Caul), est une négation de la vie qui finit par ruiner celle de son créateur. La triste ironie de la chose étant que malgré son propre avertissement, Coppola suivra le
même chemin autodestructeur que Caul quelques années plus tard avec Apocalypse now

De manière assez surprenante, la concrétisation de cette œuvre éminemment personnelle a été en grande partie déléguée par Coppola à Munch, car lui-même était dans le même temps très occupé par la
préparation du Parrain 2. Disposant d’une grande autonomie, Munch est du coup à même de parler du film avec beaucoup de détails et de passion, sur la pré-production (le choix des
accessoires et des lieux de tournage, la musique déjà enregistrée), le tournage (les répétitions avec les acteurs sur les séquences les plus théâtrales, les mouvements de caméra), la
postproduction (les modifications importantes opérées dans la construction du récit, en particulier sur le décryptage des bandes enregistrées à Union Square) et même la sortie en salles du film.
C’est lui qui assista à la plupart des projections tests, et prit la décision de dernière minute de modifier l’intonation d’une réplique – celle sur laquelle repose toute la compréhension du
twist du film (et oui, encore un coup de la mégalomanie de Coppola). Munch a même sa propre interprétation sur l’épilogue du film (léger spoiler) : alors que dans
son commentaire Coppola laisse le doute sur la présence ou non d’un micro chez Caul, Munch est persuadé de son existence, et donne même une piste – cohérente avec la psychologie du film – pour le
trouver…

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