• Les canons de Navarone, de Jack Lee Thompson (Angleterre, 1961)

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Où ?

A la maison, en DVD zone 2 déterré de la pile de disques de mon époque Écranlarge que je n’ai pas encore regardés

 

Quand ?

La semaine dernière

 

Avec qui ?

Seul

 

Et alors ?

 

Le prologue des Canons de Navarone a de quoi faire doucement ricaner le spectateur du 21è siècle, et lui faire cataloguer aussi sec le film comme faisant partie de ces dinosaures
du film de guerre aujourd’hui irregardables à force de premier degré et de manichéisme héroïque. Tout ce qu’il faut pour cela est là, dans ces cinq premières minutes : voix-off pompeuse,
discours prémâché sur la grandeur des valeureux anonymes, films d’archives, mise en perspective avec des images tournées « aujourd’hui » (en 1961) dans les endroits désormais vides où
ont eu lieu ces combats… Et pour couronner le tout, quiconque ira s’aventurer dans le disque de bonus et y trouver, caché au milieu d’une dizaine de featurettes inutiles, l’excellente analyse du
film par le cinéphile Christopher Frayling (déjà l’œuvre sur la réédition en DVD d’Il était une
fois la révolution
), apprendra que tout cela ne repose que sur du vent. Le livre d’Alistair MacLean dont est tiré le film est en effet une œuvre de fiction, basée sur des
souvenirs de guerre de son auteur très, très largement romancés.

 

A jeter alors, ces Canons de Navarone ? Bien au contraire. Une fois passée la mise en place de l’équipe et de sa mission… non, en fait, même cette phase parfois fastidieuse
est ici illuminée par un bijou d’humour anglais signé Richard Harris. Donc, reprenons, dès sa mise en place le film se distingue de la masse – en particulier par son entêtement à mettre de gros
bâtons dans les roues de ses personnages dans leur progression vers le lieu de leur mission. La qualification de film de guerre se trouve dès lors être moins appropriée que celle de film
d’aventures puisque de guerre, il n’en est question qu’indirectement pendant les trois premiers quarts du récit. Tant qu’ils ne se trouvent pas au pied des gigantesques canons qu’ils sont censés
détruire, les soldats alliés infiltrés derrière les lignes ennemies (une belle brochette : Gregory Peck, David Niven, Anthony Quinn…) fuient les contacts avec les nazis proportionnellement à
leur impuissance à les combattre. Plutôt qu’à de violents et explosifs morceaux de bravoure, on assiste à des scènes au suspense étouffant, qui doivent beaucoup à leur étirement dans le temps et
à leur mutisme. Elles se déroulent dans des espaces écrasants d’immensité (une vallée escarpée dans laquelle les héros rejouent La mort aux trousses en étant pris pour cible par
un avion allemand) ou très exigus (le bureau du lieutenant nazi). Mais la plus implacable et terrifiante de ces séquences ne doit rien à l’occupant nazi ; elle est le fait de conditions
météo dantesques. L’orage qui prend d’assaut le fragile bateau de pêche de l’équipe et l’envoie s’écraser contre les rochers entourant les falaises de l’île de Navarone semble ne jamais devoir
finir, Jack Lee Thompson filmant sans couper les moindres étapes des efforts désespérés des personnages pour s’extraire du bateau avant qu’il ne devienne tombeau, puis pour rejoindre un coin de
rivage. La dureté de la mise en scène et le choix de placer la tempête au premier plan (on ne voit et on n’entend qu’elle pendant tout le temps où les personnages en sont prisonniers) font de ces
longues minutes un morceau de bravoure qui n’a pas pris une ride.

Un autre genre de problèmes à résoudre pour les personnages avant d’en venir au fait est d’ordre éthique. Les Canons de Navarone est un des films précurseurs où la Seconde Guerre
Mondiale ne se dispute pas en noir et blanc, mais en teintes de gris à l’échelle de l’individu. Entre deux épreuves à franchir, le récit déploie de longues scènes de dialogues qui fouillent en
profondeur les dilemmes moraux de chacun : abandon ou non d’un compagnon de route grièvement atteint à la jambe, sort à réserver à un traître, attitude à observer face à une impérieuse soif
de vengeance… Aucune décision n’est aisée à faire, sans parler de la mise en pratique. Le scénario explore toutes les réponses possibles à chaque tiraillement, y compris les moins valeureuses – même l’élément qui a trahi se voit offrir le droit d’exposer ses raisons d’agir et d’être sinon pardonné mais à
tout le moins compris. A mesure qu’ils progressent vers leur objectif, les héros du film sont de moins en moins des pions que l’on bouge sur une carte d’état-major, et de plus en plus des êtres
humains complexes, faillibles, en proie au doute.

C’est un peu là que le bât blesse dans la dernière demi-heure. Une fois la mission engagée pour de bon, tant le suspense que les aspects moraux sont mis sous l’étouffoir pour laisser le champ libre à la résolution de l’enjeu central – résolution dont l’on n’a malheureusement que faire (ou si peu), puisqu’il n’est jamais
sérieusement envisageable que la dite mission se solde par un échec. Les rails sur lesquels le récit se trouve aiguillé sont, pour la première fois du film, ceux d’un trajet prévisible offrant un
paysage relativement monotone. Thompson réussit certes encore quelques beaux exemples de tension purement cinématographique (le montage hitchcockien fait de la répétition de plans fixes sur les
allées et venues d’un monte-charge juste au-dessus d’un stock de dynamite), mais les choses réellement importantes ont alors déjà été réglées depuis longtemps.

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