• Léon, de Luc Besson (France, 2008) et Coup de torchon, de Bertrand Tavernier (France, 1981)

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Où ?
A la maison, en K7 vidéo

Quand ?
Le week-end dernier

Avec qui ?
Seul

Et alors ?

Surprenante de prime abord, cette idée de relier ces 2 films réalisés pour l’un par un cinéaste renommé, « du patrimoine » (Tavernier, pour ceux dont l’esprit vagabonde) et pour l’autre
par un franc-tireur visuellement surdoué mais peu convaincant sur beaucoup d’autres aspects. Pourtant, les chroniques potentielles consacrées à Coup de torchon et
Léon se seraient bel et bien articulées autour des mêmes thèmes ; alors autant profiter de cet étonnant hasard et les regrouper en un seul texte.

  • Un monde amoral: l’action de Coup de torchon se déroule dans l’Afrique colonisée par la France entre les 2 guerres mondiales, celle de Léon dans le
    quartier de Little Italy à New York dans les années 90. Rien à voir? Au contraire. Les populations des 2 lieux sont étonnamment similaires, presque exclusivement constituées d’expatriés sans
    foi ni loi, dont la malhonnêteté n’est égalée que par la bêtise crasse. Le plus mordant – car plus intéressé par cet aspect de son récit, sûrement – sur ce point est Tavernier, qui fait de la
    stupidité de ses personnages un moyen de tirer à boulets rouges sur le colonialisme et les poches de non-droit qu’il crée au milieu du désert. Exploiteurs de la misère locale (Victor
    Garrivier), caïds de pacotille (Jean-Pierre Marielle), épouses avides (Isabelle Huppert, Stéphane Audran) et voyous simples d’esprit (Eddy Mitchell dans un contre-emploi jouissif) y trouvent
    l’endroit idéal pour mener la belle vie et faire leurs petites combines. Cette galerie de portraits, remarquablement servie par des dialogues décapants et le jeu sciemment abruti des
    interprètes, est d’une méchanceté jouissive et rarissime dans le cinéma français (jusqu’à Bernie, peut-être?).

Dans Léon, les personnages secondaires sont justement trop secondaires pour peser autant sur le récit. Mais tout de même, des clients et cibles de Léon le tueur à gages (Jean
Reno) au flic ripou et drogué qui se dresse sur sa route (Gary Oldman, dans un rôle malheureusement sous-exploité et qui tourne dès lors à vide), absolument tous les protagonistes du film ont
choisi de mener une vie de criminel ; et l’exclusion hors du champ du film de tout ce qui compose une vie « normale » – humour, sentiments, ambitions personnelles… – contribue à faire
de Léon une œuvre très noire et dépouillée de tout enthousiasme.

  • Un personnage principal impitoyable: dans les 2 films, un personnage surplombe les autres et les vainc, non pas en adoptant une attitude vertueuse et honnête mais en maîtrisant avec
    plus d’intelligence et de cynisme leurs règles amorales. Lucien, l’unique policier du village sénégalais où se déroule l’action de Coup de torchon, passe ainsi pour l’idiot du
    village avec son air bonhomme, ses phrases fétiches risibles («Je ne dis pas que vous avez tort, mais je ne dis pas non plus que vous avez raison! ») et son application affable de la
    justice. L’air de papy gâteau et la voix traînante de Philippe Noiret font merveille pour donner corps à cet aspect extérieur du personnage. En son for intérieur, Lucien est le plus malin de
    tous: il échafaude les plans les plus retors, et n’en souffle mot à personne avant qu’ils n’aient fait leur effet. C’est ainsi qu’il peut se permettre d’entretenir une liaison adultère sous
    les yeux de sa femme, et de nettoyer le village en faisant porter le chapeau à plus crétins et fanfarons que lui. Le jeu de massacre ainsi déroulé, le plus froidement du monde, dans la 1ère
    partie est une perle d’humour noir. La suite, quand Lucien se fait déborder par sa griserie meurtrière qu’il détourne à son propre profit égoïste en remplaçant sur sa liste les parasites
    nuisibles à la société par d’autres qui ne le gênent que lui, devient plus acerbe et dramatique. Tavernier élève alors son propos à un niveau éthique, qui prend par surprise et impressionne:
    une fois que l’on a goûté au meurtre, plus de retour en arrière possible.



Luc Besson n’est quant à lui pas un moraliste ; aucun jugement de valeur n’est donc posé sur les personnages de Léon. Romantique incurable, le cinéaste est capable de tous
les excès tant dans la guimauve fleur bleue – du Grand bleu à Angel-A, en passant par certaines scènes ici – que dans la fièvre autodestructrice de ses
personnages. Aux côtés du transparent Léon (Reno dans son meilleur rôle : mutique, bourru, physique), c’est la toute jeune Mathilda / Natalie Portman qui est porteuse de cette fièvre et qui
enflamme le film. A travers elle, et peut-être plus par naïveté que par goût de la provocation, Besson enfonce tabou après tabou : meurtre d’enfants (le petit frère de Mathilda), sexualité
incestueuse (la nature incertaine des rapports entre les 2 héros), pulsion suicidaire dans une scène de la version longue – laquelle est une réussite, en approfondissant la partie la plus réussie
du film qu’est l’alchimie du couple Léon / Mathilda.

Par son absence de gêne à évoquer ces interdits et à en jouer, Mathilda est un électron libre assuré d’avoir toujours un coup d’avance sur tous ceux qui l’entourent. Comme dans Coup de
torchon
, ce personnage fascinant appelle un interprète de grande classe : pour son 1er film, Natalie Portman a été celle-là, jouant à l’aise du haut de ses 12 ans la séduction, la
détresse, la douceur enfantine. Pour elle, Mathilda a ouvert une longue liste de personnages aux multiples facettes, dans la peau desquels elle apporte toujours quelque chose aux films mêmes
quelconques où elle apparaît.




  • La mise en scène virtuose d’un univers singulier: enfin, Coup de torchon et Léon sont 2 superbes accomplissements visuels. La savane africaine de l’un
    et la mégalopole new-yorkaise de l’autre sont des décors rêvés pour un réalisateur, et Tavernier comme Besson savent en tirer le meilleur parti. Ils laissent exister le décor par lui-même,
    lui donnent une place plus conséquente que celle de simple arrière-plan aux faits et gestes des personnages, par l’utilisation de plans de coupe plus longs et plus répétés qu’à l’habitude, et
    aussi soignés que le reste du film dans leur réalisation. On partage d’autant mieux le dépaysement – plus encore: le déphasage – ressenti par les européens plongés dans ces lieux extrêmes. La
    touche finale est l’appui procuré dans les 2 films par le compositeur. Pour Coup de torchon, Philippe Sarde a imaginé une partition volatile, surprenante, qui mêle avec talent
    insouciance et sens du tragique. Quant aux morceaux planants d’Éric Serra, d’ordinaire caricaturaux, ils prennent tout leur sens dans Léon en étant placés à contretemps de
    l’action et en donnant à celle-ci une autre dimension.


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