• Le nom des gens, de Michel Leclerc (France, 2010)

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nom-4Où ?

Au ciné-cité les Halles, dans la seule des grandes salles laissée libre par Harry Potter 7.1

Quand ?

Mercredi soir, à 20h30

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

 

Le nom des gens est avant toute chose un film de gauche gaiement assumé, à coups de répliques mordantes du genre « je comprends pas comment on peut être jeune
et UMP »
ou « la droite elle ne croit qu’au fric, au nationalisme et à la loi du plus fort, et je me fiche de savoir s’ils sont gentils avec leur chien ». Aux antipodes du
cinéma de gauche militant et tragique car énervé par le fait que la droite dirige encore trop fréquemment la marche du monde, Le nom des gens est enjoué, joyeux. Ça
n’enlève rien aux immenses qualités de la première catégorie, celle des Ken
Loach
et autres Mike Leigh, mais ça apporte une bouffée d’air frais tout à fait bienvenue.

 

Le scénario, particulièrement audacieux, ne repose sur aucun drame majeur par rapport auquel les personnages seraient obligés de se positionner et de réagir. Ils sont au contraire mis en
situation d’agir, de décider ; ils sont libres. Arthur Martin (Jacques Gamblin) et Bahia Benmahmoud (Sara Forestier) forment aussi un couple libre, même si ce point-là fonctionne surtout
dans un sens. Bahia, partisane d’une mise en pratique au quotidien d’une action conforme à ses idéaux politiques, conclut régulièrement des mariages blancs pour permettre à des sans-papiers d’en
obtenir, et couche encore plus régulièrement avec des mecs de droite – des « fachos » – dans le but de les faire changer de bord. Chose savoureuse, et qui symbolise bien la
qualité du film, cet élément du script n’est pas questionné, ou justifié. La stratégie de Bahia fonctionne, c’est un fait établi, et sans le moindre échec à noter à ce jour. Arthur ne paye pas
autant de sa personne, mais il ne se sent pas non plus importuné ou menacé outre mesure par les actes de sa copine. On peut supposer que ces conversions obtenues sur l’oreiller le satisfont, et
de toute façon les choses sont encore plus simples : il est heureux avec Bahia. Voilà encore un point qui ne peut que ravir à la vue du Nom des gens : on y
suit, pour une fois, un couple qui marche. Et dont la séparation un peu forcée vers la fin sert surtout à railler gentiment les personnes non impliquées politiquement – on ne parle pas ici de
partis politiques, mais de conscience politique – et coincées sexuellement.

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Le nom des gens est une chronique de la vie de ces deux personnages, qui sont partie prenante de la France d’aujourd’hui. Il cherche à embrasser tout à la fois leur
rapport au passé, qui est de l’ordre de l’intime (les relations avec les parents, les secrets de famille, les traumas plus ou moins graves de l’enfance), et au présent, qui lui est commun à nous
tous. Nous expérimentons en effet les mêmes lois, les mêmes élections, les mêmes évolutions de la société. De sa première à sa dernière scène le film avance en équilibriste au-dessus du vide, car
aucun de ces deux sujets n’est neutre – scénaristiquement par nature pour le présent, et visuellement par choix pour le passé. Le réalisateur Michel Leclerc s’impose en effet une inventivité de
chaque instant dans le traitement des souvenirs, sous l’influence croisée d’Amélie Poulain (scènes en noir et blanc ou en super 8) et de La classe
américaine 
; l’idée voulant qu’Arthur est incapable d’imaginer son père autrement que vieux, même dans des événements de sa jeunesse, est délicieusement absurde. Le
nom des gens
est donc continuellement en éveil, en train de tenter des choses qui sortent de l’ordinaire. En réponse à cette effervescence, il faut moins s’attacher aux quelques
ratés (qui interviennent le plus souvent quand le film traite trop frontalement un sujet, une idée ; là son énergie patine, avant de vite redémarrer de plus belle) qu’au fait qu’ils sont si
minoritaires. Le plus souvent le film tape dans le mille, par le verbe, les situations, les corps ou l’image. Des exemples : l’hilarante absence totale de réaction des parents d’Arthur à
l’annonce du second tour Chirac – Le Pen en 2002 ; le montage parallèle sur la quête de chaque famille d’émissions de télé ne traitant pas de sujets tabous pour elle ; le carnet de chasse de
Bahia ; son trajet toute nue de chez elle jusqu’au métro…

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Le nom des gens doit aussi beaucoup à l’abattage de ses deux têtes d’affiche. Pour Sara Forestier, cela saute évidemment aux yeux car elle a la chance d’hériter d’un
rôle en or massif dans la lignée des héroïnes-tornades, émancipées et meneuses, des Lubitsch, Wilder et consorts. Elle en fait bon usage et emporte tout sur son passage, par sa force comique qui n’a jamais été aussi bien exploitée mais aussi grâce
à une justesse dramatique idéalement dosée. La performance de Jacques Gamblin est plus introvertie, à base de réactions et de stupéfaction essentiellement. Mais une telle ligne demande tout
autant de doigté, pour aboutir à un résultat simplement effacé et non écrasé. Gamblin fait lui aussi un sans-faute dans son genre, multipliant les mimiques et réparties qui soutiennent le tempo
comique. Alors, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Presque. Au terme d’une dernière ligne droite un peu précipitée, en mai 2007 Nicolas Sarkozy est élu Président. Et surtout,
Le nom des gens se conclut en se brisant précisément sur l’écueil majeur qu’il avait su éviter jusque là : la combinaison d’une voix-off et d’une chanson horriblement
pontifiantes idéologiquement, qui réactivent soudain les pires clichés de la gauche niaiseuse. On ne peut passer sous silence que cela jette un froid.

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