• Le feu et la glace : Django et Le grand silence, 2 westerns-spaghettis de Sergio Corbucci (Italie, 1966 et 1968)

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Où ?
A la maison, le 1er en K7 vidéo (enregistrée sur Arte, en français) et le 2è en DVD Studio Canal, en italien. La langue a une importance toute relative dans les westerns-spaghettis : dans
toutes les versions, les dialogues de tous les acteurs étaient en effet réenregistrés en post-production.

Quand ?
Le week-end dernier et mercredi soir

Avec qui ?
Seul

Et alors ?

Le western-spaghetti a existé au-delà de son inventeur génial Sergio Leone – même si les règles que celui-ci a inventées étaient principalement faites pour lui et non pour être généralisées à
d’autres, un peu comme Quentin Tarantino 30 ans plus tard. Toutefois, quelques noms de réalisateurs italiens de tels westerns ont survécu au passage des années, en particulier un autre Sergio,
Corbucci. Ce dernier est surtout connu pour 2 films, Django (1966) et Le grand silence (1969) ; très dissemblables dans leur forme, inégaux mais globalement
enthousiasmants – et qui comptent parmi les westerns-spaghettis les plus facilement trouvables en dehors des chefs-d’œuvre de Sergio Leone.

La 1ère 1/2h de Django est purement géniale. Corbucci reprend de toute évidence le dispositif du film-matrice du western-spaghetti, Pour une poignée de dollars
(sorti 2 ans avant) : un tueur solitaire mystérieux et imbattable au tir débarque dans une ville perdue du Far West où se déroule une guerre sans merci entre 2 camps rivaux, des américains
et des mexicains. Corbucci dépasse le simple copier-coller anonyme en exacerbant ce point de départ jusqu’à l’amener sur les terres des films d’horreur, de ceux mettant en scène des invasions de
morts-vivants. Au passage, le film y gagne un étonnant aspect visionnaire car George Romero ne réalisera la
séminale Nuit des morts-vivants que 2 ans plus tard, en 1968. Tout est dans l’excès dans Django, et fonctionne justement car aucun élément du film ne vise à un
quelconque réalisme. Les 2 camps antagonistes sont littéralement inhumains (surtout les américains sudistes, décrits comme une secte mystique assoiffée de sang et affublée de foulards rouges
masquant leurs visages) ; le personnage principal n’a ni passé ni psychologie, il ne dit presque rien et dézingue à tout-va ; les femmes sont réduites au rang d’objets / proies convoitées par les
méchants et que le héros doit protéger. La réalisation est elle aussi archétypale, avec sa musique stridente de film d’horreur (on y revient), ses mises en places glaçantes (à base de plans très
larges, très fixes), sa ville-décor inhabitée et littéralement réduite à 3 façades, une rue et l’intérieur d’un saloon.

La 1ère 1/2h est géniale, donc – une sorte de quintessence du western-spaghetti dans sa version décérébrée. S’y déroule un enchaînement sans aucune scène de transition ou presque de fusillades
sanglantes, irréelles : le héros supprime le tiers des rangs mexicains et la quasi-totalité des américains, ces derniers à la Gatling cachée dans un cercueil ! Ce passage orgasmique est
suivi d’un énorme coup de mou, Corbucci devant trouver une raison pour que son héros ne finisse pas le travail en 10 minutes (ce qu’il était bien parti pour faire). Cela se traduit par la mise en
place incroyablement poussive d’une intrigue sans intérêt, des scènes artificiellement étirées en longueur et des dialogues patauds. Corbucci est indéniablement meilleur dans la mise en scène que
dans le scénario, et dans l’excès que dans la retenue, comme le prouvent les éclairs qui traversent cette heure morose : un long plan subjectif de du « point de vue » de la Gatling (25
ans avant Doom, hein !) dégommant tous les mexicains se présentant dans l’embrasure d’une porte ; les mains de Django écrabouillées par des chevaux, principalement hors-champ mais
avec des plans quasi-subliminaux sur les mains en question. Le temps de cette séquence, on revient avec délectation à l’ambiance gore et extrême de film d’horreur qui régnait au début du
long-métrage.

Le grand silence est le reflet inversé de Django. Son scénario s’installe pour de bon au bout de la 1ère 1/2h, soit le moment où se finissait plus ou moins celui
de Django. De plus, l’action se déroule dans un désert de neige au lieu d’une chaleur torride. Tout le film est d’ailleurs dans cette tonalité glaciale, des personnages à
l’histoire en passant par le (non-)rythme imprimé au montage. Le récit du Grand silence ne se place plus sur le registre de l’excès jubilatoire mais sur celui de la retenue
minimaliste. Sur et sous la neige, au milieu de l’immensité des montagnes, s’affrontent 2 hommes : Tigrero, chasseur de primes vénal qui prend tous les contrats qui passent, même les plus
moralement condamnables, et Silenzio, sorte de contre-tueurs à gages au destin tragique – un incroyable flash-back où ses parents sont froidement assassinés devant ses yeux d’enfant – et qui se
place en marge de la loi plutôt qu’hors de celle-ci. Autour d’eux, personne n’existe réellement, tous les protagonistes n’étant que des cibles ou des clients en puissance pour Tigrero ou
Silenzio.

On l’a vu pour Django, une telle mise en place correspond aux limites de Corbucci ; mais, dans le cas présent, elle a pour effet positif de concentrer toute la dramaturgie et
l’intensité du film sur ses 2 personnages principaux. Ceux-ci ont les épaules assez larges pour supporter une telle charge, même doublé en italien (l’allemand Klaus Kinski) ou carrément muet (le
français Jean-Louis Trintignant). Que ce soit par montage interposé ou en face-à-face à 2 reprises, leur duel est palpitant et élève Le grand silence à un point d’incandescence
que tous les films n’atteignent pas, loin de là. Sûrement inspiré par ce casting de choix, tout comme il a dû être inspiré par l’excellente musique d’Ennio Morricone, Corbucci se montre capable
de surmonter une partie de ses défauts pour faire du Grand silence un long-métrage convaincant dans son ensemble – et pas juste par à-coups comme Django – et digne
petit frère turbulent d’un autre Sergio Leone, Et pour quelques dollars de plus (où l’on retrouve l’idée du duel et du flash-back).

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