• La terre de la folie, de Luc Moullet (France, 2009)

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terrefolie-4Où ?

A l’Espace Saint-Michel

Quand ?

Dimanche après-midi, à 17h

Avec qui ?

MaFemme

Et alors ?

 

Comme en 2009, le premier vrai bon film de l’année est français (en attendant de voir si la nouvelle livraison des frères Coen qui sort aujourd’hui, A serious man, va tenir ses
promesses). Mais La terre de la folie n’a rien d’autre en commun avec le Espion(s) de Nicolas Saada qui avait ouvert officiellement le bal l’an dernier. Il n’a en fait rien de commun avec l’immense majorité de
l’offre de longs-métrages. Ses plus proches cousins seraient l’émission documentaire Strip-tease, pour l’exposé au plus près des faits, sans dramatisation aucune, d’événements
pourtant propices à un tel travestissement ; et le film underground culte La classe américaine, avec lequel Moullet partage un même penchant pour le détournement
comique usant de méthodes purement cinématographiques.

 

Le thème de l’enquête de Moullet est l’existence d’un « pentagone de la folie » dans son département d’origine des Alpes de Haute-Provence, centré sur Digne-les-Bains, au sein
duquel les cas de démence meurtrière seraient à l’en croire autrement plus nombreux que n’importe où ailleurs. Dans ce cadre documentaire, la mise en scène de Moullet est une arme comique qui
fonctionne en deux temps. Le détachement, la déconnexion même vis-à-vis de tout pathos étouffe la tendance au tragique des faits divers ; puis apparaissent les éléments volontairement
cocasses voire bouffons, qui sur un terrain ainsi dégagé voient leurs effets décuplés. Un exemple parmi beaucoup d’autres : Moullet s’attaque au récit de l’après-midi au cours de laquelle un
lointain parent à lui a tué trois personnes à coups de pioche pour une histoire de chèvre déplacée d’un pré (appartenant au maire) à un autre (communal, celui-là). Tandis que sa voix relate en
off, d’un timbre égal, la progression du drame, le réalisateur échafaude un ersatz de reconstitution de celui-ci via un collage d’images qui, en toute rigueur, sont parfaitement
appropriées : un plan d’une chèvre quand la voix-off dit « chèvre », un travelling sur les jambes d’un paysan (ben oui, il a des sabots aux pieds) en train de marcher lorsque le
meurtrier effectue un trajet, un plan en contre-plongée d’une pioche qui s’abat quand la voix-off dit « coup de pioche ». Mais leur découpage exagéré, qui les arrache de tout contexte
pertinent, et leur répétitivité leur donnent un caractère burlesque irrésistible.

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L’humour qui dirige La terre de la folie est un humour naïf, quasiment enfantin puisqu’il applique les règles du montage et du documentaire avec la même application scolaire que
celle mise par un enfant qui apprend à lire à confectionner un imagier. Pour le documentaire, cela se traduit par le recours à des témoins au sens le plus brut du terme – des gens qui ont quelque
chose à dire, à témoigner. Aucun filtre de sélection ne leur est appliqué, que ce soit sur l’intérêt de ce qu’ils ont à dire (la buraliste qui se plaint qu’un homme ayant assassiné et découpé en
morceaux sa fille n’ait pas remboursé un crédit qu’elle lui avait fait la veille de son acte) ou sur leur potentiel cinégénique (la voisine avec laquelle on voit Moullet discuter à plusieurs
reprises de différents meurtres, au look impayable et qui parle aussi vite qu’elle pense). Moullet sélectionne ses témoins avec autant de non-discernement qu’un élève de primaire qui interroge
ses parents et ses voisins pour un article du journal de l’école.

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Il n’a par ailleurs ni explication validée, ni statistiques concrètes pour appuyer sa thèse, mais ça ne l’arrête pas : son intime conviction lui suffit. Et elle nous suffit car son film est
absolument cohérent dans sa subjectivité. Le cinéaste ne vise rien d’autre que la mise à nu d’un peu de lui-même (au détour d’un énième fait divers, il évoque l’air de rien ce qui s’est imprimé
en lui de cette terre natale : le goût pour la solitude, une tentative de suicide avortée…) enrobée d’une grande couche d’autodérision – n’oublions pas que les personnes les plus drôles sont
souvent celles qui sont intérieurement les plus déprimées ou inquiètes. Moullet se moque en définitive comme c’est pas permis de son sujet d’étude – la crédibilité et la bonne image des habitants
du pentagone sont gaiement sacrifiées sur l’autel de leur apport à la cause comique –, et même de l’impact et de la finalité de son investigation. L’accumulation frénétique de cas d’immolations
et de meurtres multiples leur ôte toute consistance ; même chose pour le bric-à-brac de théories amassé par Moullet (le nuage de Tchernobyl, la désertification rurale, le vent, etc.), dont
aucune ne convainc à dessein. Tout cela aboutit à une caricature désopilante de reportage sensationnaliste, couronnée par une voix-off toujours à contretemps : « c’était un
meurtrier familial, donc assez peu dangereux car il ne pouvait tuer que des membres de sa famille »
.

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A l’opposé des règles du genre documentaire, l’épilogue achève de rendre ambiguë un parcours qui est normalement une quête de vérité. Moullet s’y met en scène au sommet d’une colline dans une
dispute avec une contradictrice (sa propre épouse), qui abat tout le château de cartes de sa soi-disant thèse. D’où l’émergence d’une nouvelle thèse : La terre de la folie
n’était que la somme des élucubrations d’un homme. Mais cela ne nous avance pas beaucoup, car qui dit élucubrations dit folie ; et le film de se conclure d’ailleurs sur un possible cas de
folie meurtrière – une image arrêtée qui montre peut-être Moullet en train de tomber dans le vide, et le bruit d’un coup de fusil dans les dernières secondes du générique. De même que
Ring montre une vidéo maudite qui est censée tuer ceux qui la regardent, La terre de la folie serait-il un film sur des fous qui rend lui-même fou ?

(à ce jour, l’auteur de ces lignes et ses proches sont tous toujours en vie et bien portants)

 

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