• La nuit nous appartient, de James Gray (USA, 2007)

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Où ?

Au Max Linder Panorama

Quand ?

Dimanche dernier


Avec qui ?

Ma femme, et 2 amis américains que l’on ne pouvait décemment accueillir sur Paris sans les emmener découvrir cette salle exceptionnelle


Et alors ?

James Gray a mis 7 ans à écrire, et surtout à financer son 3è film après le fiasco inversement proportionnel à la qualité du film de son magistral The yards (bientôt chroniqué dans ces pages). Un tel rythme, digne de Kubrick, rend à tort ou à raison le résultat de ces longues années de travail encore plus attendu au tournant. Et si Gray fait crânement face à cette impatience pendant presque 1h30, la conclusion qu’il donne à La nuit nous appartient tourne court et donne l’impression d’un rendez-vous manqué.

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Tout le contraire de ce que promet la séquence d’ouverture en 2 temps, qui est à ranger parmi les plus beaux bouts de films de l’année. Les 2 familles de Bobby (Joaquin Phoenix), l’adoptive puis celle du sang, nous sont présentées successivement dans des décors au gigantisme assumé : une boîte de nuit aux allures de palais luxueux, une cathédrale dont la voûte semble monter jusqu’au ciel. Sur la première règne la mafia russe, dont Bobby gère avec le night-club les affaires légales ; dans la seconde se réunissent le père (Robert Duvall) et le frère aîné (Mark Wahlberg) de Bobby, flics rigoristes jusqu’à l’extrême. Gray ne décrit pas une lutte classique entre le Bien et le Mal, mais une guerre totale entre 2 camps partageant les mêmes motivations (éradiquer l’autre) et méthodes (indulgence zéro, don total de soi à sa cause). S’étant éloigné de la police sans pour autant entrer pleinement dans la mafia, Bobby souhaiterait juste mener une vie pleine, gratifiante et heureuse avec son club grandiose et sa fiancée à la fois amante et aimante (Eva Mendes). Le jeu érotique auquel s’adonne le couple dans tous les tous premiers plans, sur fond de Heart of glass de Blondie, est au passage d’une sensualité superbe car réaliste et non contrefaite.

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Mais voilà, dans le monde de James Gray, il est interdit de ne pas choisir son camp (ce genre de déclaration définitive est autorisé par le fait que ce type de déterminisme tragique était déjà à l’œuvre dans ses 2 premiers films, The yards et encore avant Little Odessa). La nuit nous appartient est donc le récit du parcours initiatique de Bobby, poussé à s’engager aux côtés de la police non pas parce que c’est la bonne chose à faire, mais par la force de ses liens du sang. Par sa passivité (il ne fait que réagir à ce qui se passe) et son ignorance de ce qui se trame autour de lui, Bobby est en réalité un vecteur utilisé par Gray pour immerger le spectateur au cœur de ces sanglants règlements de comptes. Les 2 scènes-clés du récit (la visite d’un labo d’héroïne, une poursuite en voiture sous une pluie torrentielle) nous sont imposées entièrement de son point de vue : caméra subjective, bande-son assourdie par les battements de cœur. Aux antipodes de la sensualité des scènes avec Eva Mendes, le danger démesuré de ces séquences est néanmoins rendu avec le même panache furieux.

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Un film aussi ouvertement irréaliste fait forcément se poser la question du « pourquoi ? ». Pourquoi avoir choisi ce sujet, ces personnages, ces trajectoires ? Les réponses obtenues au bout de La nuit… ne sont malheureusement que partielles, tant sur des détails (le positionnement explicite de l’intrigue en 1988 ne fait écho à aucun contexte particulier) que dans les destins des protagonistes. Même si les 2 films n’ont pas les mêmes visées, la comparaison de La nuit nous appartient avec les récentes Promesses de l’ombre est difficile à occulter : à partir d’une toile de fond proche (doutes et déchirements d’individus pris entre la société « honnête » et la mafia russe), Cronenberg remplit tous ses personnages, mêmes les plus secondaires, d’une ambiguïté réjouissante tandis que Gray les fige dans des postures définitives, qui coupent tout dialogue avec le spectateur et bloquent le film sur une voie toute tracée lorsque approche l’heure du dénouement. La pirouette finale, faite d’une amère désillusion, a beau être réussie, elle ne peut renverser à elle seule la déception provoquée par la baissé d’intensité et
d’inspiration du dernier quart d’heure, si vital.

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