• Land of the lost, de Brad Silberling (USA, 2009)

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Où ?

A l’Orient-Express, dans la grande salle dont je propose qu’elle soit baptisée « salle Will Ferrell »

 

Quand ?

Lundi soir, à 22h

 

Avec qui ?

Seul, avec un autre spectateur au moment d’entrer dans la salle… et finalement une dizaine

 

Et alors ?

 

Depuis plusieurs années, Will Ferrell est un des fournisseurs les plus réguliers et fiables de fous-rires francs, délirants et relevés d’une pointe de critique acerbe et bien sentie sur les USA.
Là où tous les autres finissent inévitablement par craquer et céder à l’appel d’un rôle plus valorisant, lui peaufine long-métrage après long-métrage – et au-delà : cf. ses géniales
imitations de George W. Bush, ou ses performances sans filet sur la scène des Oscars – son personnage ingrat au possible de benêt orgueilleux, vivant la tête dans les étoiles d’un improbable
succès et réagissant avec une inquiétante virulence à toute tentative de lui faire reposer les pieds sur terre. Sans jamais lever le pied, il a ainsi concocté à la chaîne, seul dans son coin ou
presque, les hilarants Ricky Bobby, Les rois du
patin
, Semi-pro, et
Step brothers. Ce dernier, assurément son chef-d’œuvre (voir mes chroniques à ce sujet ici et ), lui a en
prime valu un foudroyant succès au box-office américain l’an dernier, avec 30 millions de dollars de recettes le premier week-end et un total final de 100 millions.

Du coup, Universal s’est empressé de vouloir faire de lui la star de l’un de ses films phares de l’été 2009, Land of the lost (Le monde (presque) perdu en français). Un
pur comique, de surcroit loin d’être consensuel, en figure de proue d’un projet à 100 millions de dollars de budget ; même Jim Carrey à l’apogée de sa splendeur n’avait pas eu droit à un tel
honneur. Ce genre de décision amène cependant à émettre trois conclusions quant à l’incompétence des cadres d’Universal. Ils n’ont certainement pas vu Step brothers pour se rendre
compte du genre d’humour proposé par Will Ferrell ; ils appliquent un système décisionnel franchement simpliste (budget du nouveau film = recettes du film
précédent ?) ; enfin, et surtout, ils n’ont pas dû prendre la peine de parcourir le scénario de Land of the lost, s’en tenant à la fiche de lecture du stagiaire, qui devait
ressembler à « remake d’une série télé culte des années 70, avec des blagues et des dinosaures ».

Certes, il y a des blagues dans Land of the lost, en quantité substantielle. Mais il s’agit de blagues made in Will Ferrell, lequel est au sommet de son art en
« paléontologue quantique » crétin et arrogant, ridicule et hilarant. Plusieurs scènes du film entrent sans plus attendre au panthéon de ses meilleurs moments – par
exemple l’interview inaugurale à la télévision (« You say you have the answer to the fossil fuels crisis ? » – « Yes. In two words. » – «Renewable
biofuels ? » – «Close. Time warps. »
), ou l’auto-aspergement d’urine de dinosaure pour progresser inaperçu dans la jungle. Et n’oublions pas les inévitables passages chantés
et dansés, sans lesquels Will Ferrell ne serait pas Will Ferrell. De même, il y a des dinosaures dans Land of the lost, dont le point de départ est la plongée de notre
paléontologue quantique et de deux acolytes dans une dimension alternative « où le passé, le présent et le futur sont confondus ». Mais ces dinosaures, comme l’ensemble des
éléments fantastiques intégrés au récit, sont placés là dans un but exclusivement comique. La première heure du film est ainsi dans la droite ligne de Step brothers : toute
intention de construction scénaristique y est scrupuleusement ignorée, voire sabotée, pour laisser place nette à une accumulation chaotique de situations absurdes dérivées de l’idée d’origine.
C’était l’opposition entre les deux demi-frères ennemis jurés et mentalement retardés dans Step brothers ; c’est ici ce monde parallèle où tout est permis.

Un T-Rex intelligent et susceptible, une armée d’extraterrestres aux costumes-pyjamas, un néon et une piscine de motel sans le motel attenant en plein désert, des bébés ptérodactyles bercés par
une comédie musicale à succès de Broadway… La structure même du film est remodelée par cette absolue liberté : aucune continuité logique n’est requise dans l’enchaînement des péripéties, des
décors, des individus et animaux rencontrés. Et aucune barre minimum n’est fixée à la qualité des images de synthèse, transformées elles aussi en outil comique par leur imperfection et leur
kitsch volontaires (une subtilité difficile à expliquer au grand public, pour qui l’image de synthèse se doit d’être le résultat d’une perfection technique immaculée). Land of the
lost
tire parti de tout cela avec une jubilation communicative, jusqu’au clou du spectacle – la longue scène de confrontation entre humains et dinosaures dans l’arène aux dimensions
infinies et au contenu improbable (camionnette de glacier, catapulte moyenâgeuse…) qu’est le point d’arrivée du vortex entre les deux mondes. Le choix de confier au réalisateur Brad Silberling le
soin de mettre en images cet univers halluciné est au fait idéal. Sa patte visuelle décalée, déjà à l’œuvre dans Les désastreuses aventures des orphelins Baudelaire, fait une
nouvelle fois merveille.

Malheureusement, Land of the lost trébuche sérieusement dans son dernier acte. Après tout ce temps passé à divaguer librement et à saccager comme des sales gosses le contenu de
leur coffre à jouets, Ferrell, Silberling & Co. tentent soudainement de donner le change auprès de leurs donneurs d’ordres. La pseudo-histoire peu convaincante – et peu convaincue – doit
alors absolument être bouclée/bâclée en une grosse vingtaine de minutes. Mais il est déjà bien trop tard pour rattraper le spectateur lambda venu voir ce genre de produit hollywoodien formaté
avec un problème initial potentiellement tragique et une résolution garantie spectaculaire (résultat : un semi-four au box-office, avec 50 millions de dollars de recettes), et tout ce que le
film y gagne est le risque de perdre en route ses fans absolument pas dupes devant une telle culbute. Le gâchis complet n’est pas loin, mais l’épilogue en deux temps vient rappeler, in extremis,
quelles étaient les réelles ambitions de cette aventure kamikaze : pousser l’élucubration le plus loin possible, pied au plancher et en ligne droite plutôt que selon une boucle qui
permettrait de rétablir la confortable et réaliste situation initiale. L’un des héros reste dans la dimension parallèle (et y trouve largement son bonheur, aux antipodes des conventions du
genre) ; tandis que le monde « réel » entérine la découverte de notre cher paléontologue quantique, qui change donc l’Histoire aussi sûrement que les Basterds de Quentin Tarantino.

N.B. : en gourmandise finale, le générique permet de profiter d’une nouvelle composition superbe de l’inimitable Michael Giacchino (Lost, Les indestructibles).

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