• La loi des (bonnes) séries : épisode 1, Mad men

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Où ?

A la maison, sur Canal+ Décalé

Quand ?

Depuis la fin octobre

Avec qui ?

Ma femme

Et alors ?

Tandis que plus d’un français sur 10 regarde Plus belle la vie chaque soir, et qu’un autre français sur 10 (ou bien est-ce le même ?) démarre son week-end devant le
sous-sous-sous Experts – qui ne vole déjà pas bien haut – qu’est NCIS, une série TV ambitieuse et emballante est diffusée sur une chaîne généraliste… ou presque.
Mad men passe exclusivement sur l’une des chaînes dérivées de Canal+. Le dimanche soir. Et jamais avant 22h45. Si même Canal+, que l’on peut pourtant considérer comme la moins
frileuse des grandes télés françaises, n’a pas le début d’une idée sur comment proposer au spectateur cette série dont elle a pourtant acheté les droits, il y a de quoi être triste.


Certes, Mad men ne fait ni dans le tape-à-l’œil – option casting de stars sur le retour, ou encore ton provoc affiché mais plus ou moins assumé – ni dans le racolage actif avec
une affiliation claire à un genre qui fait vendre, du style hôpitaux ou flics. De plus, les deux coquetteries imaginables sur le papier que sont la situation du récit en 1959 et dans l’univers de
la publicité ne débordent jamais de leur rôle d’arrière-plan. Si Mad men ambitionne de nous faire revivre des bribes de cette époque, ce n’est pas en employant des moyens
cosmétiques ou de jugement a posteriori des premiers pas d’un métier aujourd’hui prépondérant ; c’est à partir des personnages et seulement des personnages que cette projection dans le temps
s’effectue.


Mad men ne vise donc pas au coup de foudre immédiat, à la séduction facile. Il serait pour autant idiot de ne pas donner le temps de s’installer à une série capable de dérouler
tranquillement son épisode pilote avant d’annoncer au tout dernier plan que son personnage central Don Draper, cerveau quarantenaire d’une prestigieuse agence de publicité de Manhattan, est marié
et père de deux enfants. Ce plan, filmé de manière très neutre et qui tient moins du cliffhanger que d’une logique de récit (après tout, ce premier épisode suit une journée de travail de
Don et ne le voit donc rentrer chez lui qu’à la fin de celle-ci), est peut-être bien la clé de compréhension de Mad men : une série dont chaque protagoniste n’est pas un
outil de scénario mais une fin en soi, avec ses complexités, ses contradictions, ses secrets. Don, pourtant supposé être au cœur de l’histoire, en est dans le même temps le membre le plus obscur
et fuyant. Les choix de cadrages parviennent à nous donner l’impression qu’il cherche constamment à fuir la caméra, tout comme il fuit l’introspection. Nous l’observons toujours à travers le
filtre de ses interlocuteurs, sans jamais savoir ce qu’il pense ou ambitionne – une carapace qui n’est percée (sommairement) que depuis deux épisodes, le scénario forçant son chemin dans l’esprit
de Don par des bribes de flashbacks.


Pour donner un autre exemple, la secrétaire novice de Don, Peggy, est pour sa part aussi charismatique (premier personnage à nous être présenté, incarnée par une actrice qui sort du lot) que
mystérieuse – c’est la seule que nous n’ayons pas encore vu dans un cadre autre que strictement professionnel. Il faudrait aussi évoquer les collègues de Don, ses clients, sa vie familiale…
Mais surtout, ne pas omettre les merveilles que la série parvient d’ors et déjà à façonner lorsqu’elle fait interagir ces personnages entre eux. L’épisode 6 propose une réflexion poussée sur la
judéité ; le suivant fait d’une longue scène de dîner à trois personnes (Don, son épouse-objet Betty, son patron) une démonstration exemplaire des dissonances, voire des antagonismes qui existent
entre les désirs et aspirations de chacun. La vie en société se transforme en cruel dialogue de sourds, qui peut à tout moment dégénérer en jeu de massacre. Mad men maintient pour
le moment ses personnages au bord de ce précipice, avec son écriture cinématographique de haute volée – la misogynie rampante des hommes et le pouvoir réel des femmes nourrissent ainsi
magnifiquement le récit à chaque séquence ou presque.

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