• La France, de Serge Bozon (France, 2007)

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Où ?
Au MK2 Quai de Seine, superbement accessible depuis chez moi en vélo.

 


Quand ?

 

Jeudi soir

 


Avec qui ?

Ma fiancée, et une vingtaine de spectateurs arrivés à la dernière minute (2 minutes avant le début de la séance, nous étions seuls avec une autre personne) remplir une petite salle.

 


Et alors ?

 
 

Quel gros titre (au sens d’un gros mot) que celui-là ! Malgré l’envie évidente de vouloir le comprendre, le déchiffrer rapidement, il faut accepter de le laisser d’abord de côté pour se
concentrer sur le contenu du film – lequel contient dans sa mosaïque de scènes, d’idées, d’évocations, des pistes diverses que chacun empruntera à sa guise pour se faire son opinion sur ce que
Bozon dit de cette mystérieuse et écrasante France.


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L’histoire se déroule pendant la grande guerre 14-18, ou plutôt en arrière-plan puisqu’on n’en verra presque rien – une tranchée désertée, des cadavres, quelques soldats démotivés faisant
le guet, le bruit des obus tombant au loin. Camille (Sylvie Testud, dans un rôle enfin complexe et franchement adulte), femme d’un soldat dont elle est sans nouvelles, se travestit pour tenter de
le retrouver sur le front, plus sur un coup de tête qu’en suivant un plan précis. Sur sa route, elle croise un régiment d’une dizaine d’hommes, qui l’accueillent dans leur errance au but vague à
travers champs et forêts, repas de fortune et chants. 4 fois au cours du récit, les soldats stoppent en effet leur marche, empoignent leurs instruments faits de bric et de broc et entonnent des
chansons. L’effet de rupture avec l’iconographie guerrière est total, puisque les 4 morceaux sont des ritournelles pop légères, ayant pour héroïne une fille aux moeurs libres dont les paroles
espiègles sont mises dans la bouche de Poilus. Par contre, ces chansons sont le prolongement évident de l’oeuvre sensorielle intimiste qu’est le film par ailleurs : grande attention au cadre, le
plus souvent fixe et peu perturbé par des effets de montage ; lumière réaliste le jour, et qui se fait fantastique une fois la nuit tombée ; utilisation de ficelles de scénario dont la
crédibilité est sciemment sacrifiée au profit de ce qu’elles peuvent apporter plus profondément au film (le travestissement de Camille, le camouflage du régiment dans les branches d’un
arbre…).


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Tous ces éléments se supportent les uns les autres, pour former un échafaudage d’un romantisme fragile mais captivant puis peu à peu réellement poignant, d’une émotion qui prend
par surprise dans la dernière ligne droite. Bozon picore au gré de ses envies chez La nuit du chasseur et Alice au pays
des merveilles
, chez Godard (le goût pour les aphorismes, la réflexion sur le rôle et le pouvoir de la mise en scène) et Hawks, tout Hawks : le travestissement des personnages de
ses comédies, le point de vue humain sur les soldats de ses films de guerre, les espaces vides de présence humaine de ses westerns. Au confluent de ces sources, le cinéaste recueille un poème en
suspension entre des univers aux frontières poreuses : le réel et le fantastique, les vivants et les morts. De cette ballade s’échappe un éloge tranquille de la marge, de la singularité, de la
désertion – celle des esprits, qui pour Bozon permet de se prémunir contre celle des corps si l’on en croit l’importance qu’il donne à la légende de l’Atlantide dans le moral du régiment.


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La récupération de la guerre 14-18 sous cette forme purement artistique et éthérée intervient avec un timing parfait, alors que cette guerre s’efface de plus en plus du monde
contemporain tangible pour s’inscrire dans l’histoire lointaine. Creuser cette piste pour mieux comprendre le titre, c’est voir que ce conflit fut le dernier à regrouper dans un même élan et sous
un même drapeau l’ensemble de cette fameuse France – pour mieux la mener à l’abattoir et à l’abattement dans les tranchées. A partir de ce constat
factuel, le film invite – modestement – chacun d’entre nous à nous interroger sur notre rapport intime, plus ou moins conflictuel ou consensuel, à notre pays.

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