• La fièvre dans le sang, de Elia Kazan (USA, 1961)

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Où ?

A la maison, au chaud sous un plaid, en DVD zone 2 (acheté à 13 euros à la Fnac)

Quand ?

Il y a 10 jours, un dimanche soir

Avec qui ?

Ma femme

Et alors ?

Sur un certain nombre d’aspects, La fièvre dans le sang (on préférera le titre anglais Splendor in the grass, tiré d’un poème de William Wordsworth) a plus vieilli que
A l’Est d’Eden, autre grand long-métrage tourné par Elia Kazan à la même époque. Porté par l’énergie robuste du roman de John Steinbeck, A l’Est d’Eden parvient -
à mon sens – mieux à s’extraire du moule formel et d’interprétation des films sortis des studios hollywoodiens dans les années 50 et 60. Mais il est un point sur lequel Splendor in the
grass
reste d’une vibrante modernité : la tension sexuelle incandescente et irrésolue qui règne d’un bout à l’autre entre ses deux héros.


Deanie (Natalie Wood) et Bud (Warren Beatty dans son premier rôle) sont jeunes, beaux idéalistes. Ils sont amoureux, bien sûr, mais surtout ils sont submergés par le désir violent de consommer
physiquement cet amour – de baiser, quoi. La crudité de ce dernier terme n’est pas plus forte que celle de n’importe quelle scène du film rassemblant Deanie et Bud : qu’ils soient au lycée, dans
la maison de l’un des deux ou n’importe où ailleurs, le désir physique qui les consume crève les yeux. À ce titre, Splendor in the grass constitue l’une des étapes majeures sur le
chemin menant des films noirs des années 30 et 40, au récit irrigué de manière souterraine par une sexualité provocante et fiévreuse, et la révolution des années 70 au cours desquelles le sexe,
la nudité pourront être montrées et non plus suggérées. Aussi étonnant que cela puisse paraître, et même s’il est par ailleurs encore très corseté par la censure, Splendor in the
grass
est ainsi (en 1961) le premier film hollywoodien à montrer à l’écran un véritable french kiss.


Aux yeux de tous les personnages « adultes » du récit, ce désir est le ver dans le fruit pur et parfait qu’est le petit bout idyllique d’Amérique qui est le leur. Pendant la première
moitié du récit, toutes les raisons fallacieuses possibles sont déversées sans discontinuer sur les deux héros pour les détourner du « péché » – études à mener, succession familiale,
sérieux de l’institution du mariage, respectabilité des femmes… Très intelligemment, le script de Splendor in the grass ne bloque pas les deux amoureux dans une relation
schématique de tentateur et de victime mais les traite d’égal à égal. Par contre, un pragmatisme froid dissymétrise les destins de Deanie et Bud lorsqu’il s’agit de faire face aux conséquences de
leur passion – dont le prix à payer l’est presque intégralement par Deanie. Privée des exutoires admis pour Bud car il est un homme avec de soi-disant « besoins » supplémentaires, elle
est déclarée folle au premier semblant de crise et internée, une solution qui arrange tout le monde.


Splendor in the grass pousse alors sa noirceur jusqu’au cynisme en doublant ce drame intime de la tragédie d’une nation (le krach de 1929 et la Grande Dépression)… et en ne
faisant pas de tous les personnages des victimes de ce coup de tonnerre. L’ironie du récit, qui culmine dans un épilogue où le non-dit de l’amertume et des occasions perdues brise le cœur, se
double ici d’une ironie visuelle : par la grandeur des décors, par la splendeur de la lumière, l’Amérique telle qu’elle est filmée par Kazan est toute aussi belle à la fin du film qu’à son début,
quand tout était encore radieux et possible. Les drames les plus cruels sont aussi les plus invisibles ; ils n’affectent les individus que dans leur intimité la plus secrète, et peuvent reste
indécelables si l’on s’en tient à la surface des choses et des relations. En cela, la dernière séquence de Splendor in the grass n’est pas uniquement triste et belle à pleurer ;
elle est rien moins que magistrale.


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