• La collectionneuse, de Éric Rohmer (France, 1967)

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collec-1Où ?

A la maison, en DVD zone 2 prêté par mon amie cinéphile

Quand ?

Il y a dix jours, un soir

Avec qui ?

MaFemme

Et alors ?

 

Éric Rohmer a quarante-sept ans quand il réalise La collectionneuse. Ses comédiens, et même son producteur-assistant Barbet Schroeder pourraient alors être ses neveux voire ses
enfants. Pourtant cet écart de génération n’est jamais visible à l’écran – et qu’il puisse entraver la bonne marche du récit ne vient donc même pas à l’esprit. Dans La
collectionneuse
, Rohmer donne vie à une liberté absolument juvénile dans sa double démesure. Les protagonistes du récit aspirent à ce que cette liberté s’applique à une infinité de
sujets (l’amour et le sexe ; la parole et les corps…), et qu’elle soit à chaque fois elle-même infinie. Le cinéaste accepte volontiers cette requête, et met tout en œuvre pour qu’elle puisse,
dans le cadre de son film, s’épanouir sans entraves. Les personnages seront ainsi détachés de toute contrainte professionnelle (en vacances) ; de toute contrainte sociale (isolés dans une maison
de campagne loin de tout, et ainsi coupés du monde) ; et même de toute contrainte dramatique, par l’effet d’un scénario sans intrigue, aux répliques et situations improvisées au jour le jour
selon l’inspiration des uns et des autres. Il ne reste à l’écran que la confrontation entre deux affirmations libertaires (sur lesquelles je reviens plus loin), dans un espace pensé pour pouvoir
y mettre en pratique – ou tenter d’y mettre en pratique – des théories si belles et inspirantes sur le papier.

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Le seul écart que s’autorise Rohmer vis-à-vis de ses personnages consiste à greffer en amont du film trois prologues présentant la position et les convictions de chacun. Deux garçons, Adrien et
Daniel, sont considérés en train de prendre part à des conversations (avec des interlocuteurs non présentés et ne réapparaissant pas par la suite ; de purs faire-valoirs) où leurs caractères
s’expriment par leurs discours – sur l’art pour Daniel et sur la beauté et les relations sentimentales pour Adrien. Seul ce dernier importera réellement ensuite, Daniel étant rapidement rejeté au
second plan et finissant par être totalement escamoté du récit. La fille, Haydée, est elle l’objet d’un accueil tout à fait dissemblable. Son introduction est muette et solitaire, à travers ce
qui dans un film classique serait une transition plutôt qu’une scène en soi – le montage d’une poignée de plans assez courts d’elle se baladant, rêveuse, sur une plage les pieds dans l’eau.
Précision importante, Haydée est en bikini, donc dans une situation à caractère séducteur, sexuel ; ce que les cadrages de plus en plus serrés sur des zones non anodines de son corps telles que
sa nuque, l’arrière de sa jambe, ses hanches et son bas-ventre entérinent évidemment.

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Par la suite, La collectionneuse a ceci d’unique qu’il est à la fois, pour moitié, absolument et ouvertement libertin et savoureusement pervers : un de ses deux personnages,
Haydée, est pleinement épanouie sexuellement, couchant chaque soir avec un garçon différent sans être pour autant regardée par le cinéaste comme un individu blâmable. Dans le même temps, le film
est particulièrement chaste, graphiquement (on ne voit ou perçoit qu’une infime partie de ces ébats fréquents) et intellectuellement. La collectionneuse n’est pas une œuvre
choquante, sulfureuse, mais au contraire légère, affranchie. Le sexe y est vécu, et vu, comme une chose naturelle, plaisante, libérée de tout aspect nuisible. [Le même esprit soufflera
encore quarante ans plus tard sur Les amours d’Astrée et
Céladon
, du même Rohmer.]

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Les qualificatifs « muette » et « solitaire » attribués au prologue d’Haydée ont leur importance. Dès cet instant, cette héroïne s’exprime exclusivement par son corps ; en
même temps qu’elle est tout à fait seule, sans lien, dans tout ce que cet état peut avoir de positif et de négatif. Rohmer place en face de cette fille de l’air Adrien, par bien des aspects son
contraire. Lui est radicalement ancré dans des certitudes, par rapport auxquelles il n’accepte aucune déviation. S’il devait lui aussi être réduit à une pincée de mots, on dirait qu’il se veut en
toutes circonstances fidèle à une ligne franche – d’amour exclusif, de droiture professionnelle, et surtout d’esprit éminent. Adrien croit autant à la toute puissance du langage qu’Haydée s’en
désintéresse. Il en devient tellement volubile que le cadre du film ne suffit pas à absorber sa prolixité, et qu’il lui faut en déborder pour trouver dans la voix-off un terrain sur lequel
s’étaler encore un peu plus.

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Le jeu d’attraction-répulsion entre Haydée et Adrien va dès lors bien au-delà du simple marivaudage. C’est une véritable opposition de styles, un passage par chacun de sa liberté à l’épreuve du
feu. Chacun pense être supérieur à sa philosophie de vie, au lieu de l’avoir chevillée au corps ; et s’ils l’ont choisie de manière libre, ils sont tout aussi libres de la délaisser le
temps d’un été pour s’aventurer de l’autre côté de la barrière. Pour Haydée, il s’agit de jouer les filles fidèles et sages. Pour Adrien, de s’autoriser une pause dans son schéma de vie tout
tracé en ne pensant plus à son travail ni à sa fiancée. Elle prétend pouvoir avoir des principes, lui prétend pouvoir oublier les siens.

Comme il n’y a pas que chez M. Night Shyamalan ou dans Usual suspects que l’on peut trouver de brusques et extrêmement déstabilisants renversements de situation, le mieux est que
chacun découvre soi-même celui qui attend Haydée et Adrien au bout de leur été d’expérimentation ; et s’interroge à son tour sur sa portée au-delà de l’écran.

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