• La bonté infinie de Delmer Daves (La flèche brisée, 1950 ; 3h10 pour Yuma, 1957 ; La colline des potences, 1959)

Je like cet article sur les réseaux sociaux de l'internet!

Où ?
A la maison, en DVD zone 2 pour La flèche brisée et en K7 enregistrée (en VF, attention les oreilles pour la chanson du générique) pour La colline des
potences 
; et à la Filmothèque du Quartier Latin pour 3h10 pour Yuma, où ce dernier bénéficiait d’une reprise – dans une copie assez souffreteuse – à l’occasion de
la sortie en salles du remake

Quand ?
La semaine dernière

Avec qui ?
Seul

Et alors ?

Delmer Daves ne fait pas partie des cinéastes de son époque (l’âge d’or hollywoodien des années 40-50) à être passé à la postérité, tel John Ford, Howard Hawks ou Anthony Mann. Sans être pour
autant tombé dans un oubli sans fond, il est principalement connu d’une niche de cinéphiles qui sont du coup les seuls à profiter de son immense talent. Alors ensemble, brisons l’omerta, disons
non à la loi du silence : Delmer Daves mérite d’être reconnu à sa juste – et grande – valeur, en particulier pour ses westerns universels, humanistes sans retenue et d’une incroyable bonté.

Bonté n’est pas niaiserie : que ce soit dans La flèche brisée (1950), 3h10 pour Yuma (1957) ou dans La colline des potences (1959), Daves ne
fait « que » croire en l’homme et en sa capacité à vouloir et à faire le bien, sans pour autant se draper dans des bons sentiments sirupeux. Quant à l’universalité de ces 3 films, elle
tient au fait que tous pourraient tout à fait se dérouler en d’autres lieux et à d’autres époques. Le western n’y est en effet qu’un décor lié à la mode du moment du tournage, tandis que les
situations mises en œuvre sont dans le fond intemporelles : le conflit entre occupants Blancs et résistants Apaches pour La flèche brisée, la difficulté de mener une vie
honnête dans 3h10 pour Yuma, et l’avidité occasionnée par la ruée vers l’or pour La colline des potences.

Ce dernier décrit la vie d’un petit village bourgeonnant au Far West, sur les flancs d’une colline renfermant de possibles filons d’or. Le récit est déclenché par l’arrivée presque simultanée de
3 outsiders, décalés par rapport à la norme et qui vont pour cela exacerber les passions. Le trio se compose de Doc (Gary Cooper), médecin peu loquace sur son passé et aux mœurs – joueur
de cartes et excellente gâchette – étranges pour sa profession ; d’un jeune voleur nécessiteux pris sous son aile par Doc ; et d’une très belle jeune femme, seule rescapée de l’attaque
d’une diligence en plein désert.

La grande différence par rapport à un western classique est qu’ici aucun des personnages n’est affublé d’un caractère déterminé à l’avance ; ce sont leurs actions au fil du récit qui vont
les définir. Les camps du « bien » (Doc, en toutes circonstances honnête et droit) et du « mal » (le reste du village, débordant d’avidité et de médisance) se mettent ainsi en
ordre de bataille progressivement, mais Daves a l’intelligence de laisser la limite suffisamment floue pour que les personnages malléables que sont l’adolescent et la femme sauvés par Doc
puissent la franchir à plusieurs reprises, en trahissant le docteur ou en revenant vers lui.

On est ainsi pendant presque tout le film devant une situation explosive due à la banalité de la haine, de la luxure, de la jalousie, à laquelle il ne manque qu’une étincelle pour dégénérer en
barbarie. Daves maintient une constante sensation de tension et d’oppression en faisant précéder la déflagration finale par plusieurs échauffourées maîtrisées à grand-peine, mais aussi en donnant
une gravité impressionnante aux images. En particulier lorsqu’il filme les visages et les corps marqués par les épreuves : les nombreux plans de Gary Cooper à moitié ou entièrement pris dans
la pénombre, les scènes où l’héroïne est retrouvée brulée par le soleil puis en convalescence avant de recouvrer la vue dégagent une intensité, une solennité qui laissent interdit.

Tout le contraire en sorte du déferlement haineux du dernier quart d’heure, qui surprend à peine une fois le principal objet de convoitise (l’or) accessible. Les villageois deviennent un amas de
figures grotesques, motivées par une folie furieuse et contagieuse. Le bien et le mal deviennent alors clairement définis, donnant au final de La colline des potences, filmé avec
la même gravité neutre et détachée que le reste du film, des airs de parabole biblique – tendance Ancien Testament, le plus violent et cruel. Il suffit en effet d’y réfléchir quelques secondes
pour se rendre compte que le happy-end du récit n’en est pas un : le sauvetage in extremis de 3 innocents ne fait pas le poids face au saccage d’un village et des règles de vie commune.

Ce froid mépris des humeurs de la foule et de la loi du plus nombreux transparaît également dans certaines scènes de La flèche brisée. Le film est situé pendant la guerre entre
les Blancs et les Apaches ; mais ses thèmes et les idées avancées peuvent s’appliquer à nombre de conflits avant et après dans l’Histoire, par exemple près de nous celui interminable entre
Israéliens et Palestiniens. James Stewart, qui tenait là son 1er rôle « sérieux », joue Tom, un homme qui est le seul de son camp à vouloir croire en une solution pacifique plutôt qu’à
se satisfaire d’une guerre sanglante et sans répit dont le dernier à tenir debout sortira vainqueur. Dans un saisissant raccourci de l’intrigue de La colline des potences, une
séquence le montre pris à parti par des habitants rejetant en bloc ses propos apaisants, et prêts à le prendre sans autre forme de procès. Cette logique de guerre nourrit l’intrigue de La
flèche brisée
, mais sans en être le cœur. Un autre mouvement domine en effet, un mouvement de paix.

Le film est passionnant en cela : il raconte avec bonté et optimisme la possibilité d’un pardon. Comme dans La colline des potences, cela s’effectue au travers d’une
description générale de la vie au sein d’une communauté plutôt que par des destins individuels – d’ailleurs la seule histoire intime du film (la romance entre Tom et une jeune indienne)
fonctionne à mes yeux assez mal, elle ne cadre pas avec le reste. Le scénario est du coup globalement dépourvu de réelles péripéties, exception faite de la géniale scène d’ouverture – une
embuscade apache où le suspense est servi par un découpage remarquable – et de la fusillade finale sur laquelle je reviendrai. Reste des personnages et des décors, inoubliables. Si le territoire
des blancs est à peine présent à l’écran (on ne voit que des bribes de la ville de Tucson, le plus souvent en plans très serrés), la caméra de Daves s’attarde longuement sur la beauté, la majesté
des paysages apaches que le cinéaste a lui-même arpentés quand il était étudiant (il a alors passé beaucoup de temps chez les Apaches, et est donc réellement proche de leur point de vue).



Chaque trajet de Tom vers leur camp se transforme en ballade paisible, relatée par de nombreux et superbes plans larges. Au sein de ce décor naturellement majestueux et serein, pardon et
rédemption sont envisageables. Les personnages qui croient en cela (Tom, le chef apache Cochise) sont grandis par la mise en scène alors que les autres sont méprisés voire ignorés, et ce quelque
soit leur camp. Aux yeux de Daves, les rebelles indiens menés par Geronimo sont aussi lâches et bornés que la bande de blancs qui tend le piège final aux héros. Cette séquence incroyable ne fait
pas mystère de son orientation pro-apaches : face à des blancs qui attaquent les premiers et n’hésitent pas à tuer à bout portant des personnes désarmées, ils opposent une croyance renforcée
en la possibilité d’une paix durable. Et symboliquement, La flèche brisée s’achève à leurs côtés, sur cet espoir de paix.

La non-violence et le « non-machisme » prônés par Daves trouvent leur pleine mesure dans 3h10 pour Yuma, assurément son chef-d’œuvre. L’intrigue (Evans, un père de
famille criblé de dettes accepte d’escorter Wade, un chef de gang jusqu’à la gare la plus proche, pour le mettre à bord du train pour la prison de Yuma) pourrait très bien être contemporaine et
située en milieu urbain, tant le film est déconnecté de tous les clichés du western. On y parle famille soudée, soucis financiers, relations sentimentales sérieuses ou passagères, et même
sexe : rares sont les films hollywoodiens de l’époque, et encore plus les westerns, où l’on peut trouver un plan aussi explicite – et en même temps très simple, dénué de toute perversité -
que celui montrant Glenn Ford et Felicia Farr ressortir de la pièce où ils viennent juste de faire l’amour.

3h10 pour Yuma est un modèle d’épure. Tout y est contenu en 90 minutes, les développements psychologiques des personnages (il suffit d’une ou 2 répliques pour les rendre crédibles
et attachants) ainsi qu’un suspense ambitieux et abouti. La dernière demi-heure en quasi temps réel avant l’arrivée du train, au cours de laquelle Evans est peu à peu encerclé par le gang de Wade
et abandonné par ses acolytes, est un morceau de bravoure qui prend forme presque l’air de rien.

Sur le fond, 3h10 pour Yuma est un film en miroir, qui cache son jeu jusqu’à ses ultimes instants. Pendant longtemps, Daves nous cache que le personnage principal n’est pas Evans,
mais Wade ; c’est ce dernier qui détient la possibilité d’infléchir le cours de l’action, en plus d’être le seul à évoluer moralement. Le rôle est superbement porté par Glenn Ford, véritable
caméléon ici aussi loin des habituels méchants de western que de ses prestations dans des films noirs comme Règlement de comptes ou Gilda. L’histoire de 3h10 pour Yuma est
donc celle d’un bad guy attiré par les valeurs du « Bien », la vie de famille, la légalité, la fierté immatérielle de faire ce qui est juste. Forcément, il en résulte une
ambiance diamétralement opposée à celle de La colline des potences, où tout est sombre et sur le point d’éclater ; ici, une bonne étoile plane en permanence sur le récit, malgré
toutes les difficultés rencontrées en route.

Cette bonne étoile, ce pourrait bien être les 2 magnifiques personnages de femmes, dont l’influence positive et tranquille donne une tonalité réellement spéciale au récit. Pour preuve,
l’apparition irréelle de la femme de Evans dans l’épilogue rend celui-ci miraculeux, au point de nous tirer des larmes de joie.

Les commentaires sont fermés.