• L’invasion des profanateurs de sépulture (celle de René Goscinny : Lucky Luke et Le petit Nicolas)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles

 

Quand ?

Lundi soir, à la chaîne (d’abord Lucky Luke puis Le petit Nicolas)

 

Avec qui ?

Seul (ce genre de mission suicide se fait en solitaire)

 

Et alors ?

 

Il est impossible de suivre la cadence des navets comiques (aux budgets massifs pour la plupart) dont nous inonde le cinéma français ces semaines-ci : en plus des deux dont il est question
dans cet article on compte rien que pour le mois d’octobre Victor, Divorces, Rose et noir, et en sortie simultanée le 28 Micmacs à
tire-larigot
et Cinéman. Une couverture exhaustive de ces films exigerait un investissement bien trop grand, et serait dangereux pour la santé mentale des volontaires.
Pour preuve, Lucky Luke à lui seul émet une toxicité capable de faire sombrer un cinéphile dans la dépression nerveuse.

 

L’idée initiale était de faire avec ma femme une soirée « nanards » respectueuse de la parité entre cinémas américain et français, semblable à celle de l’an dernier, avec cette fois-ci au programme La
proposition
(starring Sandra Bullock) et Le petit Nicolas. Le courage nous a manqué et nous ne sommes allés voir que le premier cité, qui après un premier quart
d’heure inquiétant (car réussi et drôle) n’a de cesse de nous rassurer jusqu’à son générique de fin en remplissant pleinement son rôle de navet. Finalement, l’arrivée de Lucky
Luke
a révisé le thème de la soirée en un « RIP René Goscinny », co-auteur des aventures originales du cowboy solitaire et du Petit Nicolas qui sera bien
malheureux quand leurs adaptations cinématographiques de 2009 seront disponibles en téléchargement sur le service « Heaven VOD ».

 

En guise d’introduction avant de traiter séparément les deux films, on peut mettre en avant deux points majeurs qu’ils ont en commun. Tout d’abord une gestion calamiteuse de l’humour, avec une
élaboration des gags qui est un désastre permanent. Les dits gags sont soit bien trop longs et trop lents et du coup s’éventent avant de s’être concrétisés ou au contraire s’étirent
péniblement ; ou rabâchés jusqu’à plus soif (les traits de caractère uniques des personnages secondaires) ; ou encore ils sont catapultés sans construction préalable, comme on se
débarrasse d’un fardeau indésirable. Dans ce dernier cas de figure, la « blague » arrive mort-née à l’écran : son potentiel est visible mais entravé, asphyxié. Ni Le petit
Nicolas
ni Lucky Luke ne font preuve à aucun moment d’un quelconque tempo comique. Allez, si, à deux moments pour le premier (quand le chouchou Agnan commet l’erreur
d’ôter ses lunettes et qu’une baffe anonyme surgit soudainement depuis le bord du cadre pour en profiter, et quand le voisin des parents de Nicolas intervient en hors champ dans une conversation)
et un pour le second (lorsque Lucky Luke participe à une réunion au plus haut niveau de l’État dans un wagon envahi par un nuage opaque de fumée de cigare – un gag qui relève d’un esprit BD qu’on
ne reverra plus jamais par la suite).

Cette faillite humoristique est directement corrélée à l’autre parallèle existant entre les deux films : la transparence du protagoniste central et de son interprète. Cet effet est commun,
mais les causes diffèrent pour chacun des deux longs-métrages. Le casting du faux jeune (son port de la veste et de la cravate, son air courtois et son sourire pincé lui donnent l’air d’un
sénateur ayant dépassé le demi-siècle) et tête-à-claques Maxime Godart dans le rôle du Petit Nicolas est finalement tout à fait cohérent de l’ambiance d’ensemble rance dans
laquelle baigne le film – j’y reviens plus loin. Le naufrage majuscule de Jean Dujardin en Lucky Luke pose par contre plus de questions. Le double statut, de coscénariste du film
et de star du cinéma français pour qui tout est permis, arboré par le comédien balaye l’hypothèse de l’erreur involontaire et conduit à une autre conclusion ; que Dujardin et son compère
James Huth, le réalisateur du film Brice de Nice, ne sont respectivement pas assez bon acteur et metteur en scène pour mener à bien le défi schizophrène qui est celui de leur
Lucky Luke. Il s’agit ni plus ni moins que de faire coexister dans le même film un récit à la Pale rider (ou tout autre film de vengeance brutale des années 70, à
piocher parmi les westerns et les polars) et une synthèse du nouvel humour français du début des années 2000 avec comme fers de lance Dujardin et Michaël Youn, ici incarnant Billy the Kid. La
dite synthèse est déjà à elle seule problématique (les deux comiques jouent plus chacun dans leur coin et dans leur sketch qu’ensemble), mais le rajout en supplément d’une forte composante
dramatique fait plonger le film vers des profondeurs insondables. Pour dire les choses clairement, Lucky Luke est l’un des pires films qu’il m’a été donné de voir.

Si les ingrédients retenus pour servir de socle à cette partie du script (un pathos remontant à l’enfance pour Lucky Luke dont les parents ont été assassinés sous ses yeux, une manipulation avec
double trahison à son encontre) ne brillent déjà que par leur banalité et leur paresse, c’est surtout leur mise en œuvre qui consterne. Les dialogues sonnent plus faux que ceux des plus
effroyables navets hongkongais – à mes yeux les plus « forts » dans le domaine du dialogue nanardisant – voire même que ceux d’un film X de milieu de gamme. On se croirait devant
La classe américaine (« Tu es la 21è étoile du drapeau américain »… non mais ho !), à la différence que rien dans Lucky Luke ne vient
signaler la présence d’un quelconque recul par rapport à l’action. Le premier degré est ici roi. Et du coup, dès qu’il y a plus de trois répliques échangées à la suite, des larmes d’humiliation
et d’écœurement montent aux yeux.

Comme si cela ne suffisait pas, il faut en prime subir l’incapacité du duo Huth-Dujardin à développer un scénario potable. Pour résumer, le premier tiers nous rappelle toutes les cinq minutes que
les parents de Lucky Luke sont morts devant ses yeux et qu’il ne s’en est jamais remis ; le deuxième tiers a été perdu en route (pendant une demi-heure il ne se passe rien) ; le
troisième tiers est un mille-feuilles indigeste où tous les vagues enjeux sont empilés et soldés à la va-vite. Le fil conducteur entre chacune de ces parties étant l’hystérie jamais calmée de la
mise en scène. Le modèle choisi par James Huth comme cinéaste d’action est Michael Bay, et l’on ne peut évidemment que désapprouver. Huth en fait donc des tonnes au rayon des plans
compliqués, trafiqués, agressifs, ainsi qu’en matière de montage surexcité et illisible. Ce qui a certainement quelque chose à voir avec la régularité avec laquelle les ambitions de son film
s’écrasent une à une, exactement comme chez Bay.

 

Le petit Nicolas est un tout petit peu moins mauvais, car moins furieux et douloureux à subir. Mais cette mollesse de surface, dont on peut lui être redevable quand on sort juste
d’une projection de Lucky Luke (encore que la musique envahissante tape assez fortement sur les nerfs dès la deuxième scène), n’est qu’un nappage couvrant un récit pénible et
navrant, dont le meilleur moment est de très loin le générique, montage de dessins originaux de Sempé animés à l’ancienne. Il y a dans le moindre de ses croquis plus de fraîcheur, de joie et de
vie que dans tout le reste du film, ce qui est logique étant donné que les mamelles de celui-ci sont l’immobilisme, le ressentiment et l’humiliation.

L’immobilisme est érigé en dogme dès la première intervention en voix-off de Nicolas (« Ma vie elle est chouette, et je ne veux surtout pas qu’elle change »), et dicte avec une
rigidité égale le fonctionnement de la mise en scène et celui des intrigues servant de fil rouge au récit. Ces embryons d’histoires n’ont nullement l’ambition de mener où que ce soit :
l’idée d’un spectacle donné par la classe pour la visite du ministre de l’éducation est abandonnée en route, les velléités d’élévation intellectuelle de la mère de Nicolas finissent toutes sur
des voies de garage, la crainte de Nicolas d’avoir un petit frère se révèle sans fondement (et quand sa mère se trouve effectivement enceinte, l’histoire est réglée en trois minutes chrono)…
Cette absence de but se traduit inévitablement, au niveau inférieur, par des scènes sans enjeu, complètement amnésiques l’une à l’autre, qui s’achèvent pour la plupart en queue de poisson. Le
souhait de Nicolas est plus qu’exaucé : rien ne se produit, la réalisation est hémiplégique, les affects autant que les péripéties ne sont pas prolongés dans la durée. Il y a de fortes
ressemblances entre ce monde fabriqué par le réalisateur Laurent Tirard et celui qu’occupe Jim Carrey dans The Truman show – de toute évidence sans le discours critique de ce film
sur les problèmes posés par la création d’un tel monde « parfait ». Tirard enferme ses personnages dans une boule à neige décorée à la mode des années 50 – sans justification à ce
choix, hormis indirectement via un clin d’œil complice aux Choristes – et imperméable à tout phénomène d’entropie ; l’immuabilité des décors étouffants et surchargés en
accessoires, et la carence en figurants (les rares à être présents arpentent l’arrière-plan tels des zombies) sont là pour en témoigner. Sans même parler d’une quelconque possibilité
d’identification à un tel environnement, il est sacrément difficile de faire rire avec une boule à neige, sauf si elle fait « Meuh » quand on la retourne [le DVD du
Petit Nicolas fera peut-être « Meuh » quand on le retourne, mais j’en doute]. Par contre, un visage aussi lisse et inexpressif que celui de Maxime Godart a tout
à fait sa place au sein d’un monde à ce point aseptisé. Peu importe qu’il joue particulièrement mal, puisqu’il a le physique de l’emploi.

Pas de scénario, pas d’imagination visuelle (les deux-trois tentatives à base d’effets spéciaux sont aussi affligeantes que les scènes de Lucky Luke où Jolly Jumper parle) :
reste les personnages. Au vu des comportements de ceux-ci, il faut être extrêmement réceptif au lavage de cerveau des campagnes marketing autour du film, ou alors en vouloir à tout prix pour
l’argent mis dans le prix du billet de cinéma pour voir en Le petit Nicolas un film « sympa ». Il n’y a rien de sympa dans ce long-métrage où 99% des relations entre les
personnages sont motivées par le ressentiment ou l’humiliation, avec un second degré aussi inexistant que dans Lucky Luke. Les élèves de la classe sont tous des cancres sauf
un ; le père de Nicolas subit avec abnégation le mépris de son patron et se venge sur sa femme au foyer et son fils qu’il invective et raille l’un comme l’autre à longueur de temps… Si
Le petit Nicolas n’est presque jamais drôle, il est par contre très dérangeant dans son abnégation à dépeindre des rapports humains si négatifs, d’un autre temps : les
enfants obéissent (avec une petite marge de manœuvre pour faire des bêtises de leur âge), les femmes obéissent (avec une petite marge de manœuvre pour faire des excentricités de leur sexe
faible), les valets obéissent (avec le sourire), et les hommes aux commandes (de leur couple, de leur entreprise, de leur école) dirigent avec une poigne de fer.

Etouffés dans Le petit Nicolas, explosés façon puzzle dans Lucky Luke, la fantaisie subtile et le ton espiègle de Goscinny et de ses acolytes Sempé et Morris
périssent dans un cas comme dans l’autre entre les sales pattes des auteurs de ces adaptations. Et ces derniers ne leur ont même pas laissé l’ombre d’une chance. Les salauds.

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