• L’homme sauvage, de Robert Mulligan (USA, 1968)

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stalking-2Où ?

A la cinémathèque, au cours de la rétrospective consacrée au réalisateur

Quand ?

Mercredi soir

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

 

Six ans après leur réussite commune dans l’adaptation de To kill a
mockingbird
 , Robert Mulligan et Gregory Peck font à nouveau équipe pour cet
Homme sauvage. Le cadre est cette fois celui d’un vrai western (par opposition au dérivé de western qu’est en un sens To kill a mockingbird,
avec son héros se dressant seul contre tous pour tenter de faire primer la justice et la civilisation sur la vengeance et la sauvagerie), ce qui n’empêche pas le film de nous surprendre à son
tour. Sa date de réalisation ferait pencher pour un positionnement dans la catégorie du nouveau western alors en plein essor – Pour une poignée de dollars,
Willie Boy, Rio Conchos… – mais la réalité est toute autre.
L’homme sauvage ne suit aucun des codes que se partagent ces longs-métrages frondeurs. Et s’il ouvre bien sur une autre voie que celle du western classique dans sa
seconde moitié, ce serait plutôt celle… des slashers.

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Avant d’en arriver là, le film est une heure durant une démonstration par l’exemple du talent de metteur en scène de Mulligan, et de son approche si particulière. Mulligan est un artiste qui
croit en la retenue et en la finesse dans la façon d’exprimer les émotions et les discordances, même les plus violentes. Il s’attache dès lors à un principe d’économie de moyens le plus franc qui
soit, et qui n’est pas une réaction anti-spectaculaire mais plus simplement sa manière à lui de faire les choses. L’homme sauvage est une œuvre extrêmement parcimonieuse
dans son emploi des dialogues, mais aussi des coupes de montage. Plutôt que de comprimer les personnages de l’histoire par un excès de dialogues sursignifiants, Mulligan s’en remet
essentiellement aux expressions et aux postures (parfois immobiles, parfois en mouvement) de ses comédiens pour laisser transparaître leurs sentiments. Des comédiens qu’il filme dans des plans
suffisamment amples, tant en largeur qu’en profondeur de champ, pour réduire le nombre de changements d’axe au strict minimum et ainsi laisser leurs interprétations s’installer dans la durée,
sans interruptions. Certains de ces cadrages sont proprement époustouflants : dans la scène de l’achat du billet de train au guichet de la gare, ou plus loin tous ceux qui regroupent trois
ou quatre personnages dans la pièce principale de la maison du héros.

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Ce héros est donc Gregory Peck, qui joue Sam, un officier militaire acceptant de prendre sous son aile une femme blanche (Eva Marie Saint) reprise des mains des Apaches après avoir été leur
captive pendant dix ans. Période au cours de laquelle elle a eu un fils, qu’elle souhaite garder auprès d’elle – et dont le père Salvaje, chasseur indien impitoyable et insaisissable, va dès lors
partir à leur poursuite. La mise en place du conflit et la première partie de la chasse démontrent que Mulligan n’est pas simplement un fin scrutateur des âmes, et qu’il sait tout aussi bien
filmer l’action. Il excelle à rendre palpable l’immensité et la dangerosité des espaces désertiques de l’Ouest américain, et cela une fois de plus sans effets de manche superflus. A l’image d’un
autre film avec Gregory Peck, mais d’un tout autre genre (Les canons de Navarone),
L’homme sauvage propose un traitement très direct de telles scènes d’aventure : il expose telles quelles sur l’écran et sur la bande-son ces contraintes de la
nature, face auxquelles les personnages sont désarmés, obligés de subir. Subir la distance énorme qui sépare deux lieux habitables ; subir les cataclysmes qui peuvent soudain se déchaîner
comme cette terrifiante tempête de sable qui piège les trois héros toute une nuit durant au milieu du désert.

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Une fois arrivé dans l’enceinte de la maison de Sam, le film prend donc des faux airs de slasher en huis clos puisque les personnages s’y trouvent assiégés par Salvaje et que les
cadavres s’accumulent au fil des minutes. La sobriété de Mulligan se retourne alors quelque peu contre son œuvre. La mécanique du slasher exige en effet d’être soutenue par une dynamique
d’exagération des émotions, du suspense, de la nervosité, qui irait de plus crescendo. Au contraire de quoi L’homme sauvage reste trop atone, trop froid ; le choix
de Mulligan de maintenir Salvaje dans une posture de menace fantôme (il n’a aucune ligne de dialogue, on ne le voit jamais à l’écran plus de quelques secondes d’affilée) au lieu de le faire peu à
peu évoluer en personnage à part entière en est une des expressions les plus marquées. Il serait excessif de dire que l’on se désintéresse de l’histoire, mais on ne s’y implique certainement pas
autant qu’on le pourrait, sur un plan émotionnel. Implication qui ne s’accroît pas plus au niveau intellectuel, le scénario laissant à l’état de friche la thématique – potentiellement
passionnante – qui sous-tend le duel entre Sam et Salvaje. Nous avons d’un côté un blanc aspirant à une vie sédentarisée et membre d’une communauté, de l’autre un indien solitaire et presque
animal dans son style de vie et son comportement, et entre eux un enfant sans prénom et que les deux hommes se disputent pour savoir qui l’éduquera à son image. L’homme
sauvage
raconte donc à travers eux la prise de pouvoir des blancs sur l’Amérique, et la nécessité pour eux d’en finir définitivement avec l’esprit (le fantôme) des tribus indiennes
natives qu’ils ont éradiquées. Ou plutôt il aurait pu raconter cela, avec une pincée d’ambition supplémentaire en complément de ses autres qualités.

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