• L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot, de Serge Bromberg (France, 2009)

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Où ?

Au MK2 Beaubourg

 

Quand ?

Jeudi soir, à la séance de 22h

 

Avec qui ?

Ma femme

 

Et alors ?

 

Un documentaire sur le cinéma présente les mêmes exigences qu’un documentaire moins égocentré et consacré à un autre thème : il y faut une mise en perspective, un questionnement pour que le
spectateur y trouve un réel intérêt. Le questionnement, le recul sont des choses qui manquent cruellement à L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot, son auteur Serge Bromberg ayant pour
but de consolider le piédestal sur lequel il place de toute évidence Clouzot, plutôt que de l’effriter. Ce traitement du réalisateur de L’assassin habite au 21 et du
Salaire de la peur comme une idole et non comme
un homme est évident dès les premières minutes : Bromberg en parle comme d’un des plus grands cinéastes de tous les temps, dont tous les films sont des chefs-d’œuvre, et dont la maison de
campagne accueillait tout ce que la France comptait alors d’artistes importants. Tout ceci manque singulièrement de mesure, une attitude qui reste de mise lorsque Bromberg entre dans le vif de
son sujet, le tournage du film L’enfer, histoire de jalousie maladive (un homme persuadé que son épouse le trompe en permanence, et qui s’en fait des visions cauchemardesques) qui
restera inachevée.

Bromberg a reçu en 2005 des mains de la veuve de Clouzot de quoi remplir visiblement tous ses Noëls jusqu’à la fin de ses jours : les bobines contenant l’ensemble des essais et des rushes
tournés pour L’enfer. La masse d’images est plus que conséquente, Clouzot ayant obtenu un budget illimité et s’étant enfermé plus de trois mois durant en studio pour y faire du matin au
soir des expérimentations d’effets visuels en vue – peut-être – de représenter les hallucinations de son héros. On dit peut-être, car aucun plan de travail n’existait et les techniciens et
artistes convoqués par Clouzot avaient eux-mêmes l’impression d’œuvrer en roue libre, pour la beauté du geste en soi. La présence de la sublime Romy Schneider devant la caméra, et son acceptation
à prendre les poses les plus sulfureuses et langoureuses (le jeu avec le ressort descendant de sa poitrine à son entrejambe frôle le porno soft) pour satisfaire les désirs du cinéaste, n’a pas dû
aider ce dernier à s’extraire de cette spirale envoûtante et pernicieuse. Ce qui rend d’ailleurs ces images d’archives fascinantes à leur insu : elles ont de toute évidence été réalisées par
Clouzot pour sa jouissance personnelle et non afin d’être intégrées dans un film à venir. Comme si Hitchcock avait pu obtenir des conditions de « travail » similaires en compagnie de
Grace Kelly.

Tout ce que L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot nous montre de ces essais est à caractère sexuel. Bromberg ne semble pas le voir (comme un ange, une idole peut-elle avoir un sexe et
les pulsions qui vont avec ?), de même qu’il ne semble pas voir que sur le tournage proprement dit, la situation ne s’arrange pas. Clouzot s’y révèle en effet de plus en plus dictatorial et
pointilleux, sans avoir pour autant de vision d’ensemble à faire partager à son équipe. C’est en tout cas ce que tous ceux qui ont travaillé sur le film (chef opérateur, assistant, scripte…)
disent dans leurs témoignages ; car la voix-off ne rebondit jamais sur ces voix discordantes – Bromberg préfère le plus souvent enchaîner sur de longs bout-à-bout de rushes, sortis de tout
contexte – ou alors uniquement dans le but d’atténuer la dureté et la résolution de leurs critiques. A l’entendre, l’échec de L’enfer reste un mystère. Il est bien le seul à le penser…

 

Et afin de maintenir à flot cette fable, il n’hésite pas à ignorer des pans entiers de l’histoire du cinéma. Il n’y aurait rien eu avant L’enferVertigo de Hitchcock,
traitant d’une obsession amoureuse et érotique voisine et porté par une même volonté de renouvellement formel, n’est jamais cité. Il n’y aurait rien eu pendant L’enfer – la Nouvelle
Vague est expédiée en une vague allusion alors même que, sans aller jusqu’à dire que ce mouvement avait raison sur tout, pas mal des choses contre lesquelles il se battait ont participé au
naufrage de Clouzot. Enfin, il n’y aurait rien eu après L’enfer – la mort du projet, après un infarctus quasi providentiel du cinéaste qui l’a forcé à arrêter les frais, n’est tout
simplement pas traitée ; pas un mot, pas une image. Comme le démontrent son refus d’évoquer l’existence du long-métrage tiré par Claude Chabrol sur la base du scénario de Clouzot, et
l’intégration au documentaire de nouvelles répétitions de scènes jouées spécialement pour l’occasion par Jacques Gamblin et Bérénice Béjo, pour Bromberg ce film reste en suspens – comme peut
l’être le retour d’un messie pour des fidèles religieux. Bromberg a la foi, mais c’est surtout l’aveuglement qui en découle qui transparaît dans son documentaire-hommage.

 

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