• Justice à Vegas, de Rémy Burkel (France, 2008)

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Où ?

Sur Arte, où cette mini-série est diffusée depuis un mois à raison d’un double épisode par semaine (le dernier étant pour ce vendredi soir)

 

Quand ?

Un peu tout le temps dans la semaine

 

Avec qui ?

Ma femme

 

Et alors ?

 

L’ombre (bienveillante) de Jean-Xavier de Lestrade, l’auteur du renversant The staircase, plane au-dessus de Justice à Vegas, puisqu’il est le producteur de cette
nouvelle série documentaire consacrée à la justice américaine réalisée par Rémy Burkel. Voisines dans leur thème général et dans leur durée (10 épisodes de 50 minutes chacun ici contre 8 pour
The staircase), les deux œuvres sont cependant bien plus complémentaires que redondantes. Burkel s’intéresse non pas à une seule affaire mais à cinq différentes, traitées chacune
en deux épisodes – soit la durée d’un long-métrage – jugées devant le même tribunal et impliquant des avocats commis d’office venant de la même équipe (certains d’entre eux reviennent donc à deux
ou trois reprises).

Le contenu des affaires de Justice à Vegas est de prime abord aux antipodes du cas de Michael Peterson suivi dans The staircase. Ce dernier est autant au-dessus de
la norme que les accusés de Las Vegas sont en-dessous. L’autre point commun entre les cinq dossiers dont il est ici question est en effet qu’ils lèvent tous un coin du voile jeté
hypocritement par la société sur ses zones honteuses – guerres de gangs, familles vivant dans des parkings à mobil-homes devenus des zones de non-droit, cité HLM transformée en mouroir où l’on
parque les plus de soixante-dix ans… Autant d’espaces auxquels l’État ne s’intéresse que lorsqu’un meurtre y est commis avec un assassin tout désigné (à tort ou à raison) ; cet intérêt
ayant pour seule finalité, comme on le comprend à chaque fois, d’envoyer le coupable en prison à vie ou dans le couloir de la mort. Le dernier procès qu’il reste à voir aboutira certes peut-être
à une conclusion différente mais, pour le moment, le fil rouge de Justice à Vegas est la constance des jurys dans la sévérité radicale de leurs verdicts. A chaque fois, les
avocats remuent ciel et terre pour faire comprendre que chacun de ces homicides limpides – trop limpides – n’est que la partie émergée d’un environnement tragique où l’on ne compte en réalité que
des victimes. Et à chaque fois, le jury fait la sourde oreille et se range aux arguments simplistes de l’accusation qui reposent sur un matraquage de photographies de cadavres baignant dans leur
sang et de mots qui choquent (« Cadavre ! Meurtre ! Sang ! Meurtre ! »). Justice à Vegas tisse alors un lien imprévu avec The
staircase
, dans sa description amère de la médiocrité intellectuelle des procureurs officiant dans ces affaires. Les contre-interrogatoires misérables – mais sans incidence sur le
verdict – menés par les deux jeunes assistantes du procureur aux commandes dans l’affaire de Derac Hanley, ainsi que la conception qu’elles ont de leur tâche, qui frise la croisade fanatique (et
la bonhomie avec laquelle elles l’assument), sont ainsi le reflet du comportement du procureur ayant officié contre Michael Peterson.

Sans minimiser les drames que représentent également les trois autres cas, le pire est atteint dans l’affaire de Beau et Monique Maestas, frère et sœur âgés de dix-neuf et seize ans condamnés
respectivement à mort et à la perpétuité (avec possibilité de demander une libération conditionnelle au bout de quarante-sept ans) pour le meurtre d’une petite fille de trois ans et la paraplégie
de sa grande sœur de dix ans. Le crime en soi est horrible, mais il représente aussi l’aboutissement presque inévitable de l’enfance de Beau et Monique, élevés par un père trafiquant de drogue
qui les battait, une mère sataniste et des oncles et autres « proches » qui les violaient. La sentence œil pour œil et dent pour dent que leur inflige le jury revient à dire que ces
deux êtres seront nés et morts pour absolument rien, si ce n’est pour donner à la foule des gens « normaux » le sentiment de bonne conscience d’avoir définitivement supprimé deux
éléments déviants.

Pour en revenir à des considérations plus cinématographiques, Justice à Vegas est un très bel exemple de documentaire neutre, comme l’a aussi été dernièrement Kill the
referee
. Burkel s’implique beaucoup moins directement dans les histoires qu’il capte que Lestrade auprès de la famille Peterson chez qui il s’était plus ou moins installé et
dont il multipliait les interviews. Burkel lui ne provoque rien, et s’en tient à filmer des événements et des conversations qui se produiraient même sans la présence d’une caméra. Il est la
mouche sur le mur à qui présente ne prête attention et qui enregistre tout, y compris dans les lieux les plus exigus ou improbables. Il n’y a pas entre les deux une bonne et une mauvaise
méthode ; simplement deux manières de conduire son récit, qui peuvent toutes deux mener à l’excellence si elles sont bien exécutées – et qui, dans le cas présent, mènent toutes deux à
l’excellence car elles sont bien exécutées. Dans Justice à Vegas, le détachement de Burkel se double d’un intelligent travail de montage qui fait ressortir, de par l’organisation
des images, certaines observations, telle celle sur les procureurs exposée plus haut. Mais il ne s’agit jamais de prises de position martelées grossièrement : c’est au téléspectateur de
conjecturer à partir de ce qui lui est montré et d’apposer sa propre subjectivité sur les images, une technique quasi maïeutique qui rappelle Mad Men. De la télévision subtile et engagée comme ça, on en
voudrait tous les jours et sur toutes les chaînes.

Mais on se contentera pour le moment d’en avoir eu un tel spécimen un mois durant sur une chaîne.

 

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