• Jarhead : entre 2 guerres (Sam Mendes, USA, 2005)

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Où ?
A la maison, en DVD zone 2, pour tester mon nouvel écran de projection

Quand ?
Dimanche soir

Avec qui ?
Ma femme

Et alors ?

Passé complètement inaperçu lors de sa sortie en salles en France début 2006, Jarhead ne méritait sûrement pas un tel sort – ou peut-être que si. Très réussi et convaincant sur de
nombreux points, Jarhead a pour principal (et rédhibitoire ?) défaut d’être incapable d’identifier et d’exprimer le sens profond de ce qu’il décrit. L’épilogue hors-sujet en
est l’évidente démonstration, mais c’est aller un peu vite en besogne que d’en parler si tôt.

Adapté des mémoires de l’ex-Marine Anthony Swofford, Jarhead raconte de l’intérieur le non-conflit que fut l’opération « Tempête du désert » lancée en 1991 par les USA
pour contrer l’invasion du Koweït par l’Irak. Les 6 mois passés dans le désert par Swofford et son régiment se seront résumés à attendre, patrouiller dans le désert avec tout leur équipement sur
le dos, dormir dans le sable, prendre des pilules expérimentales censées les protéger contre des attaques bactériologiques fantômes, se faire tirer dessus par leur propre aviation, et pendant
tout ce temps ne croiser aucun soldat ennemi. Le film fait très bien sentir le mélange d’inutilité profonde et de manipulation auquel sont soumis les soldats, par le biais d’une maîtrise
remarquable de l’art cinématographique à tous les niveaux.

Les rares dialogues du scénario sont particulièrement pertinents et mordants, abordant de manière oblique toutes les questions dérangeantes posées par ce nouveau genre de conflit où la guerre est
plus une industrie qu’une nécessité. L’excellent casting – Jake Gyllenhaal en tête d’affiche, entouré de Jamie Foxx, Chris Cooper, la révélation Peter Sarsgaard… – donne vie à cette meute de
machines à tuer privée d’ennemis. Le caractère doublement extrême de leur situation (leur entraînement inhumain, et la zone géographique où ils sont envoyés) les transforme en personnages de
théâtre, symboles d’une certaine condition (in)humaine.

Le réalisateur Sam Mendes (American beauty) en vient, du monde du théâtre. Il est donc tout à fait à même de tirer de ces saynètes décalées voire franchement surréalistes une
vérité frappante sur le cauchemar vécu par ces soldats, coupés du monde et du reste des hommes pour des raisons iniques ou cyniques, au choix. Le contexte de Jarhead offre par
ailleurs à Mendes la possibilité d’assouvir son autre passion, complémentaire de la première : le cinéma comme art pictural. Comme beaucoup d’autres avant – et beaucoup d’autres après – lui,
il fait du désert un personnage à part entière, immense et tétanisant. L’éclairage désaturé du chef op Roger Deakins exacerbe l’irréalité de ce lieu où les hommes disparaissent dans le sable et
où il pleut du pétrole la nuit (cf. capture ci-dessous).

Sur le fond, Jarhead prend parfaitement acte de la rupture avec les guerres traditionnelles et emblématiques vécues par les USA auparavant. Les citations directes
(Apocalypse now, Voyage au bout de l’enfer) et les passages obligés fortement référentiels et vite expédiés, tels ce camp d’entraînement à la Full metal
jacket
, jouent ce rôle : ces précédents existent, font partie de la culture de ces soldats, mais ne dialoguent avec aucune de leurs propres expériences. La fracture est évidente si
l’on compare le film de Mendes à MASH, dont il
est proche dans la structure éclatée. Dans le long-métrage de 1970 d’Altman, l’absurdité et l’atrocité de la guerre étaient désamorcées par le rire et la transgression des interdits. Ces portes
de sortie n’existent plus dans l’univers verrouillé de Jarhead, où les Marines ne peuvent plus se « libérer » que par l’autodestruction (biture, folie, armes retournées
contre son propre camp).

Malheureusement, Sam Mendes ne parvient pas – par manque d’ambition, de recul ? – à apporter la touche finale à ce tableau désabusé. L’abstraction théâtrale touchée ici et là du doigt et les
brusques percées de cinéma-vérité (les interviews des soldats pour la télévision, improvisées par les acteurs et qui amènent un changement de support visuel) entrouvraient pourtant une voie,
celle que Brian De Palma a emprunté tête baissée il y a peu dans Redacted. Sans pousser l’expérimentation aussi loin, il est clair en revoyant Jarhead aujourd’hui que Mendes avait toutes les
cartes en main pour être le 1er à déconstruire avec brio les guerres de ce début de siècle. A force de coller à ses personnages (en particulier dans l’épilogue, qui semble tiré d’un film d’un
autre temps, d’une autre guerre), il n’en a rien fait. Dommage !


Le contenu éditorial proposé sur ce double DVD est une belle réussite, qui accompagne efficacement le long-métrage. Le premier disque contient les bonus les plus classiques : scènes coupées et
commentaires audio. Le plus intéressant parmi ces derniers est celui enregistré par le réalisateur, qui démontre à quel point Jarhead est réellement son œuvre en propre. Au
fil des révélations et explications de Mendes, on comprend en effet comment il a utilisé le script comme un matériau de base, qu’il a modelé à sa manière par la mise en scène (en caméra à
l’épaule), l’utilisation de la musique ou encore le travail avec les acteurs (beaucoup d’improvisations) pour le faire correspondre à sa vision personnelle du sujet.


Les sections consacrées aux scènes coupées confirment cette main mise du cinéaste sur son long-métrage. Elles sont divisées en trois parties : les rêves de Swoff (fantasmes
délirants qui nous font partager le regard décalé du héros sur son environnement), les interviews des soldats (en version intégrale), et toutes les autres. Parmi ces dernières, trois ou
quatre sur les onze valent franchement le détour : des scènes développant la relation entre Swoff et Troy, et surtout une ouverture complètement différente, avec Sam Rockwell (Confessions
d’un homme dangereux
, La ligne verte) dans le rôle de l’oncle de Swoff qui vante à ce dernier, encore gamin, les mérites et la grandeur de l’armée. Dans ses commentaires,
Mendes explique que ces séquences, même les plus percutantes, ont été sacrifiées afin de préserver l’intégrité du message du film et l’homogénéité de son ton : bel exemple d’un réalisateur qui
privilégie la qualité d’ensemble du long-métrage à des coups d’éclat ponctuels offerts par telle ou telle scène.


Autre bonus à signaler, le documentaire Semper Fi placé sur le DVD qui accompagne le film, entre 2 making-of mi-promo mi-réussis. Semper Fi est le prolongement idéal du
film, car il propose l’ouverture sur le réel qui manque cruellement à ce dernier en recueillant les paroles de cinq Marines sur la difficulté de leur retour au pays après leur service dans le
Golfe, en 1991 ou en 2004 (intéressante mise en parallèle des 2 conflits, très rarement effectuée il me semble). Les conditions vécues par ces soldats ont été étonnamment identiques quelle que
soit leur âge, leur origine, leur classe sociale : tous parlent de leur enthousiasme idéal, du « conditionnement » (le mot revient dans chaque témoignage) subi à l’armée, et de la perte
totale de repères une fois sorti de cet environnement. L’intelligence de ce reportage est de montrer à travers ces cinq exemples toutes les variantes de comportements en réponse à ce choc du
retour, du soldat le plus dévasté par ce qu’il a vécu à celui qui reste convaincu du bien-fondé de son choix et de ses agissements sur place. Sans prise de position face à ces hommes, mais avec
des répliques qui claquent (« C’est bizarre d’être allé en Irak avant d’avoir eu l’âge de voter »), ce bonus qui réussit à aller de manière intelligente au-delà du cinéma est une vraie
réussite.

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