• In the loop, de Armando Iannucci (Royaume-Uni, 2009)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles

 

Quand ?

Lundi soir de la semaine dernière, à la séance de 20h

 

Avec qui ?

Ma femme, et une (petite) salle pleine (et qui l’était déjà la veille à 18h, à nos dépends)

 

Et alors ?

 

L’insolence effrontée portée en bandoulière et l’atmosphère de chaos généralisé et foncièrement instable telles que les a énoncées la sitcom révolutionnaire Arrested development
sont-elles des outils pertinents pour traiter d’un sujet aussi grave que le déclenchement de la deuxième guerre américaine en Irak ? Oui, cent fois oui, à voir ce que In the
loop
fait du mélange entre cette forme et ce fond que tout oppose en apparence. De telles apparences sont aujourd’hui foncièrement trompeuses, le sérieux théorique d’un conflit armé
d’ampleur internationale ayant été ruiné par la personnalité (pour l’assaillant n°1) et les arguments (pour l’assaillant n°2) des va-t-en-guerre de cette première
guerre majeure du 21è siècle. C’est au second assaillant que s’en prend In the loop, en imaginant un engrenage infernal de faits, déclarations, luttes d’egos et coups fumeux ayant
pu mener à une arnaque aussi massive que le rapport bidonné présenté par le Royaume-Uni devant l’Assemblée Générale de l’ONU pour appuyer la déclaration de guerre à l’Irak. Tout ceci est aussi
fictif que l’escalade élaborée par Kubrick dans Docteur Folamour ; mais est également tout aussi crédible, voire même plus puisque dans le cas présent le point final du récit
a effectivement été atteint dans le monde réel.

In the loop démarre alors que Simon Foster, le ministre britannique du « développement mondial » déclare à la radio que pour lui la guerre évoquée est
« imprévisible ». Il n’en a pas conscience, mais il vient de mettre les deux pieds dans le plat des hauts fonctionnaires anglais et américains favorables à une telle guerre et
qui comptaient bien continuer à avancer leurs pions dans l’ombre. A son insu, Foster va donc être récupéré et manipulé par le camp belliqueux, tout comme le seront dans la foulée les différents
sous-fifres et assistants auteurs de bourdes similaires. Cela, nous-mêmes ne le comprendrons qu’après la séance, en repensant au film à tête reposée… Car les 1h45 que dure In the
loop
sont une plongée en apnée dans un tourbillon de dialogues comiques et caustiques, qui détournent notre attention des faits et gestes d’importance. Et non seulement on ne ressort la
tête de l’eau qu’une fois le générique de fin atteint mais en plus le scénario procède, comme tous les épisodes du modèle susmentionné Arrested development, par accumulation effrénée de blagues dans chaque plan et chaque échange verbal. La densité de gags atteint un tel stade que les sous-titres français sont
matériellement incapables de tous les retranscrire…

La mécanique comique du film repose principalement sur l’exagération du fossé psychologique qui sépare les va-t-en-guerre et les tenants d’une solution diplomatique ; comme si les
personnages de chaque camp avaient été écrits par un membre de la faction adverse. Les premiers sont des brutes hystériques et nerveuses, vulgaires dans leurs paroles et violentes dans leurs
actes. Les seconds sont des lavettes à l’orgueil inexistant ou ravalé depuis longtemps, qui parlent d’une voix faible et se font physiquement tout petits – yeux baissés, tête rentrée dans les
épaules. Appuyée par un vrai talent d’utilisation à des fins comiques des décors – chambre d’hôtel, bureaux vitrés… – et des accessoires qui les garnissent (par exemple des jouets d’enfant dans
une séquence de réunion officieuse hilarante), cette pratique de la caricature atteint un niveau jouissif précisément car elle est poussée à son paroxysme. Aucun compromis n’est possible entre
ces deux groupes qui ne ressentent pour l’autre que détestation et mépris, et se le font savoir dès que possible. Les railleries et insultes s’amoncellent dans des monologues déroulés jusqu’à
l’absurde (« You’re lobsterizing ! »), quand ce ne sont pas les machines à fax qui prennent pour l’exemple en étant explosées en mille morceaux.

Dans son dernier tiers, la manière dont In the loop parvient sans rien sacrifier de sa démesure burlesque à se réorienter sur les rails d’un récit fondamentalement sérieux (la
confection du faux rapport) est absolument brillante. L’humour des répliques et des situations prend un tour caustique alors que se concrétise la débâcle des pacifistes, incapables de se mettre
en travers du plan pourtant pas franchement éblouissant de leurs rivaux. Et tandis que le récit met un dernier coup d’accélérateur pour décrire des événements échappant définitivement à toute
prise (avec comme point d’orgue une déclaration de guerre votée sans que l’on s’en rende compte ou presque), de la satire émergent des vérités humaines cinglantes – exactement comme dans
Arrested development. Le processus qui a mené à l’offensive militaire reste largement opaque ; mais l’arrivisme à courte vue, le machisme bas de plafond (sur la description
des rapports hommes-femmes, In the loop est l’anti-2012 par son discernement et son acuité), la lâcheté molle des uns ou des autres sont on ne peut plus limpides.

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