• Interview with a band of vampires

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Ils sont entièrement vêtus de noir. Ils restent presque tout le temps statiques sur scène, nous regardant droit dans les yeux, sûrs de leur force. Un dense nuage de fumée les enveloppe en
permanence. Ils ne sont au début que des ombres sur un immense drap blanc, lorsque l’Intro de leur album lance le concert ; à l’autre bout du chemin, ils redeviennent des esprits
immatériels, absents de la scène alors même que les lumières sont toujours éteintes et que leur musique joue encore leur reprise de You’ve got the love (de The Source, puis Florence and
the machine) – concrétisant là un des concepts mémorables du Mulholland drive de David Lynch.

 

Toutes ces raisons pourraient suffire à faire des XX les vampires qu’ils sont. Mais elles ne sont qu’accessoires. Ce qui les fait réellement appartenir à cette caste, c’est leur faculté à pouvoir
se nourrir de l’âme d’autrui – et leur détermination à le faire une heure durant, sans un instant de répit. Cette âme, c’est la nôtre, et nos émotions les plus intimes ; c’est aussi tout
l’éventail de formes que la musique moderne possède. Au fur et à mesure de leurs chansons, les XX absorbent ici la new wave des années 80, là le rock planant et mélancolique personnifié par Chris
Isaak, et nous les exposent dépouillés de tout leur apparat et réduits à leur plus simple expression – à leur âme. Ils nous stupéfient en parvenant au même résultat dans leurs reprises de
chansons typées dancefloor (Do you mind de Kyla, Teardrops de Womack & Womack), un genre dont l’on était persuadé qu’il était pourtant insensible à ce genre
d’aspiration affective.

 

La pureté atteinte par la musique des XX bouleverse d’autant plus qu’elle naît de presque rien : une basse et une guitare, un synthétiseur. Des premiers sortent une frugale poignée
d’accords, répétés et modulés de façon hypnotique. Du second, des sonorités qui surgissent non pas du futur électronique, virtuel de la musique mais d’un passé ancestral, oublié. Et par-dessus,
deux voix si parfaitement accordées, complémentaires, que cela paraît irréel. La musique jouée par les XX semble venir d’un lieu impossible à nommer, car inconnu ; d’un trou noir ouvrant une
porte sur une autre réalité, que l’on saisit sans savoir l’interpréter. De la Loge Noire de Twin
Peaks
peut-être, pour suivre la piste lynchienne.

 

Cette profonde déstabilisation émotionnelle ne débouche pas sur un rejet. Les mélodies des XX nous inquiètent, nous fragilisent ; mais elles nous séduisent et nous attirent tout autant.
Comme c’est le cas avec tous les vampires, c’est de notre propre chef que nous nous laissons charmer et que nous venons à eux. Eux qui, du haut de leur estrade, semblent ne rien demander ni
espérer. Toute leur performance se tient sur la corde raide, donnant sans cesse le sentiment d’être sur le point d’exploser, de se livrer enfin ; mais ne le faisant jamais. Cet instant de
calme avant la tempête, étiré à l’infini, est effrayant comme l’attente fébrile avant l’assaut et sensuel comme la retenue consciente lorsque l’on se tient au bord de l’orgasme. Ces invites
effrayantes et sensuelles qu’ils susurrent à nos oreilles dans leurs deux dernières chansons du concert (« Give it up… » dans Infinity ; « If you want
me, let me know »
dans Stars) se font plus pressantes, comme pour convaincre les derniers résistants de s’abandonner enfin. Pas sûr que dans la salle de la Cigale, jeudi soir,
il y en avait encore à ce moment.

 

 

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