• Inside man, de Spike Lee (USA, 2003)

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Où ?

A la cinémathèque

Quand ?

Dimanche matin, à 11h

Avec qui ?

Seul, avec une trentaine d’autres spectateurs

Et alors ?

Spike Lee post – 11 Septembre, suite. La 25è
heure
le montrait en état de choc (un sentiment de désolation générale enveloppe le film), mais n’ayant rien perdu de sa pugnacité à l’égard des classes dominantes blanches,
ni de sa virtuosité formelle. Inside man, film de braquage, de nouveau une commande, est nourri par la même double envie, présente chez le cinéaste depuis ses débuts : se
faire plaisir en faisant du beau cinéma, et en découdre avec l’establishment. Avec l’âge, Spike Lee ferre des poissons de plus en plus gros -avant l’administration Bush dans le
documentaire Katrina, c’est ici le système capitaliste qui est visé. Si Inside man s’attaque au Patriot Act et à la dérive sécuritaire des USA depuis
2001, ce n’est en effet pas avec la rage frontale habituelle du réalisateur, mais bien pour montrer que ces pratiques ne sont qu’un écran de fumée, une diversion pour rendre le business financier
encore plus florissant, et les riches et puissants encore plus indéboulonnables par ceux qui sont exclus de ce cercle privé vertueux.

Très classique dans son déroulement, la scène d’ouverture montre explicitement cette intrusion des indésirables chez les dominants par l’importance donnée aux lieux géographiques. La camionnette
des braqueurs récupère les complices dans différents quartiers populaires (Coney Island, Brooklyn…) et arrive à destination en plein cœur de Manhattan, à 2 pas du taureau de Wall Street – un
plan du film lui est consacré – dans un bâtiment à l’architecture majestueuse. Le même décalage se reproduit au cours de la mise en place des forces de négociation et d’intervention. Tandis que 2
inspecteurs (afro-américains, et qui partagent un bureau miteux dans un open space sans ouverture sur la lumière du jour) sont officiellement nommés en charge des opérations, en
sous-main le propriétaire de la banque – riche, blanc, vieux – dépêche sur place, avec la complicité du maire de New York – aux mêmes caractéristiques -, une mystérieuse négociatrice – riche,
blanche, jeune – pour traiter en direct avec les braqueurs et protéger un lourd secret des yeux du public et de la police.

Le jeu d’échecs peut alors commencer. Inside man est un film de braquage tactique et statique, où chaque mouvement (ou non-mouvement) est entièrement réfléchi et maîtrisé par
Spike Lee et Dalton Russell (Clive Owen, à la présence magnétique), le cerveau du casse. Les 2 hommes sont dans la même position – placés en retrait par rapport à l’action (la mise en scène est
très neutre, le plus souvent en plan large ou américain), ils manipulent les réactions de tous les personnages – et dans le même camp. Leur but commun est une attaque orchestrée non pas contre
les parures du système financier, symbolisées par le coffre-fort gargantuesque et gorgé de liasses de billets que Dalton laisse ostensiblement en place, mais contre ses racines. Pour ce faire,
Spike et Dalton se donnent le temps de construire hors champ un dénouement, par ailleurs aussi renversant que jouissif, en retournant les mécanismes de défense du système contre lui-même,
Patriot Act en tête. Inside man est un festival de fausses pistes, basées sur la fourniture d’images et de sons trafiqués aux multiples systèmes de surveillance ou qui
poussent jusqu’à l’absurde la non-distinction dorénavant de mise entre les innocents et les suspects. La 1ère action du gang une fois entré dans la banque est ainsi d’habiller tous leurs otages
exactement comme eux : combinaison noire de peintre, masque blanc qui couvre le visage. C’est tête baissée que les forces de l’ordre tombent dans le panneau, sur l’instant lorsque des otages
sont libérés au compte-goutte ou plus tard lors d’interrogatoires stériles.

L’assurance de la réalisation de Spike Lee, sans excès fantaisistes mais avec toujours l’angle ou le travelling qui marquent le coup, est idéale pour rendre fluides les méandres du scénario
autant que son mécanisme manipulatoire. On se sent complice, et non pas victime. Inside man est euphorisant, ses 2 heures passent en un souffle – c’est là le plaisir personnel
retiré par Spike Lee dans l’affaire, de la même manière que Dalton Russell devient tout de même richissime au passage. Le film est si joyeux et lumineux que sa profondeur et son acuité n’en sont
que plus bluffantes. La thématique raciale du cinéaste est toujours là, en toile de fond : face à l’inspecteur au chapeau joué par Denzel Washington, d’une classe et d’une décontraction
confondantes, tous les protagonistes blancs intégrés au système (flics, politiques, banquiers…) sont condescendants, aigris, vaguement racistes – et finissent le nez dans la poussière. Surtout,
en utilisant un événement dramatique à l’ampleur mondiale (le 11 septembre 2001) comme point de départ pour en atteindre un autre plus loin dans le passé (la Shoah), Spike Lee tisse en filigrane
de son film une histoire officieuse et peu reluisante du capitalisme moderne. Et comme il était de bonne humeur, il donne aussi un exemple de l’attitude à adopter pour le défier, voire – dans le
monde idéal de Inside man – le vaincre : être plus malin que lui.

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