• Ils sont repartis de Cannes sans rien (1) : Étreintes brisées, de Pedro Almodovar (Espagne, 2009)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles, dont le responsable a dû anticiper pour ce film une Palme d’Or qui n’est pas venue : Étreintes brisées y est diffusé dans les deux plus grandes
salles du cinéma

 

Quand ?

Lundi soir

 

Avec qui ?

Ma femme et mon compère de films de festivals

 

Et alors ?

 

Mon admiration pour l’œuvre de Pedro Almodovar est somme toute récente, puisqu’elle date du bouleversant Parle avec elle. Ses deux longs-métrages suivants, La mauvaise
éducation
et surtout Volver, m’avaient à leur tour fait grande impression par leur plastique florissante et leurs constructions scénaristiques complexes, dans les
méandres desquelles les personnages cachaient leurs poignants secrets intimes. Étreintes brisées vise de toute évidence à creuser ce même sillon ; avec moins de bonheur
cependant. Racontée au passé via des flashbacks au déclenchement laborieux et des confessions-monologues fastidieuses, la passion ardente et tragique, le temps d’un tournage, entre le réalisateur
Mateo et son actrice Lena ne parvient jamais à nous prendre à la gorge. On a le sentiment qu’au travers des va-et-vient dans le temps, des changements incessants de point de vue et des
révélations qui parsèment le récit, Almodovar cherche à donner à ses personnages annexes une importance équivalente à celle de son duo amoureux. Mais avec un scénario haché, jamais fluide, et des
protagonistes qui restent d’un bout à l’autre des pantins mécaniques régis par des automatismes de scénario plus que par une énergie vitale sincère, sa faillite est réelle. Loin des cimes de sa
filmographie, elle tire Étreintes brisées vers le mélo de seconde classe, aux émotions rentrées au chausse-pied et aux répliques qui tombent à plat (le navrant « les
films, il faut les finir, même en aveugle »
final, à propos d’un long-métrage que Mateo remonte après être devenu… aveugle). Les confessions à demi-mot du cinéaste, dans une interview
aux Cahiers du Cinéma, sur les difficultés qu’il a rencontrées pour écrire et monter Étreintes brisées prennent une autre dimension lorsqu’on les relit après avoir vu le film.

Comme un symbole, la mise en scène est longtemps étriquée, coincée dans une austérité générale (cadre, lumière, décors) qui n’aide pas le film à surpasser ses flottements. Les choses s’améliorent
certes dans la seconde moitié, lorsque le drame resserre son étreinte autour des héros et que, en parallèle, Almodovar se saisit plus résolument du thème du film dans le film et en exploite la
richesse dans des plans et des scènes intenses. Le dernier baiser de Mateo et Lena en fait partie, de même que ces soirées passées par Ernesto, le concubin sexagénaire aussi riche que jaloux de
Lena, à se faire projeter les rushes du making-of du tournage avec à ses côtés une femme employée spécialement pour lire sur les lèvres des deux amants et lui réciter d’une voix monocorde leurs
échanges passionnés. Ce genre d’idée typique d’Almodovar dans sa sophistication, et dans sa finalité émotionnelle (la rupture de Lena avec Ernesto se fera par ce biais, de manière dédoublée,
quand elle viendra en personne dans la salle de projection « postsynchroniser » ce qu’elle dit à Ernesto par caméra interposée), apparaît trop rarement dans Étreintes
brisées 
; celles qui sont présentes font l’effet d’embryons de films qui n’ont pas eu l’occasion de s’épanouir pleinement.

Reste la prestation exceptionnelle de Penélope Cruz, dans un rôle conçu par le cinéaste comme un écrin pour le talent de son actrice. Almodovar fait passer son personnage par tous les
états : fille d’un père en phase terminale d’un cancer ; croqueuse d’hommes issue d’un milieu modeste et ravie des bijoux dont la couvre son riche protecteur ; descendante de
Madame Bovary s’ennuyant dans sa prison dorée et rêvant d’une carrière artistique ; amante sensuelle et incandescente (une admirable scène de sexe à même le sol) ou subissant passivement et
sans broncher les assauts d’un homme qui la dégoûte… Penélope Cruz joue tout cela avec une franchise et un abandon superbes. Elle ne retient rien, se donne pleinement à ce rôle. Dommage
qu’Almodovar ait dilué une telle performance dans un film loin d’avoir le même éclat.

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