• Greenberg, de Noah Baumbach (USA, 2009)

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greenberg-1Où ?

Au ciné-cité les Halles

Quand ?

Jeudi soir à 22h30, en deuxième partie d’un double programme

Avec qui ?

Mon amie cinéphile

Et alors ?

 

Avec son traitement anti-glamour de Los Angeles et son casting d’un comique star dans un contre-emploi dramatique et aigri, Greenberg présente un puissant air de famille
avec le Funny
people
de Judd Apatow sorti l’an dernier. Une référence qui nous emmène bien loin des contrées attendues dans un film signé du coscénariste de Wes Anderson, Noah
Baumbach. Que le personnage central du film, Roger Greenberg, débarque à Los Angeles en provenance de la meilleure ennemie de celle-ci et terre de prédilection d’Anderson, New York, marque
d’ailleurs symboliquement la sécession opérée par Baumbach vis-à-vis de son acolyte. Greenberg reprend bien des éléments, des tonalités de l’univers
« wes-andersonien » ; mais il les intègre dans un grand melting-pot où se rejoignent côté Est et côte Ouest, humour et inquiétude, méchanceté et tendresse, comédie romantique et drame
introspectif, années 80 et années 2000.

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Cette ouverture à tant d’influences et de tendances vaccine Greenberg contre le syndrome du film – « boule à neige » dont les scénarios Baumbach/Anderson sont
trop souvent frappés. De même, elle permet au réalisateur de se hisser à un niveau éminemment supérieur à celui de son premier long-métrage, Les
Berkman se séparent, dont je dois avouer qu’il ne m’a laissé aucun souvenir même s’il ne m’avait pas déplu sur le coup.
Greenberg ne devrait pas se laisser effacer aussi aisément, tant il déborde de richesses. Et il en faut, des richesses cinématographiques, pour donner un tel éclat et
une telle grâce au récit de vies qui n’ont en elles-mêmes rien d’étincelant. En compagnie de Roger et des gens qui l’entourent, nous sommes aux antipodes des êtres d’exception de La
famille Tenenbaum
(par exemple). Les ratages plus que les triomphes sont pour eux à l’ordre du jour, et les péripéties du quotidien se limitent à des besognes nécessaires (amener le
chien chez le vétérinaire, empêcher la piscine de déborder) ou à des événements renvoyant chacun à l’ampleur de sa banale solitude – un anniversaire dans un restaurant quelconque, un numéro de
chant dans un bar ne draguent autour de la personne concernée qu’une petite poignée d’intimes. Enfin, la seule personne ayant atteint la réussite dans un domaine – le frère de Roger et employeur
du premier rôle féminin Florence – est globalement absente du film ; il y est représenté par le principal signe extérieur de sa prospérité, sa grande villa emblématique des quartiers huppés
de Los Angeles jusqu’au cliché, comme si celle-ci avait pris tant d’importance qu’elle en est arrivée à le supplanter tout entier.

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Le miracle d’un scénario en constant état de sympathie et de compréhension vis-à-vis de ses héros maintient Greenberg sur une voie idéale. Tout ce qui passe passe de
manière allusive, par des frôlements, des évocations vite contenus, éludés. Les dialogues sont à ce propos formidables, tant par ce qu’ils disent – on y trouve un bon nombre de traits d’esprit
fort bien pensés, principalement dans la bouche de Roger (« I have never even begin to think I would want to know that », au sujet du nom d’une plante) – que par la quantité de
non-dits qu’ils soulèvent puis laissent en suspens. En ne piochant que dans la partie émergée des vies de ses personnages, mais toujours avec une incroyable pertinence dans ses choix, Noah
Baumbach nous fait saisir l’étendue de la partie immergée. Etendue qu’il ne serait jamais possible de traiter intégralement en un long-métrage, sauf à déchoir les personnages de leur statut
d’individus pour les ramener à celui de stéréotypes.

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Les vrais sujets de tristesse ou de colère ne sont jamais abordés de manière approfondie (ou alors dans des circonstances exceptionnelles), et la nature exacte d’une relation ne se règle jamais
en une seule fois. L’histoire entre Roger et Florence, fil rouge fait de va-et-vient impulsifs ou anxieux, illustre parfaitement cette manière de procéder. Baumbach ne joue à aucun moment au
deus ex machina qui forcerait le destin de ses personnages dans une direction ou l’autre en (ab)usant de coups du sort artificiels. Les bouleversements de leur relation ne viennent
jamais de l’extérieur de celle-ci mais de l’intérieur – d’eux-mêmes, de leurs caractères, leurs expériences passées et leurs représentations de l’avenir. Cela signifie par exemple que rien
(distance physique, maladie, etc.) ni personne (ex qui ressurgit, fiancé(e) officiel(le)…) n’empêche concrètement Roger et Florence d’être ensemble. L’un et l’autre n’ont en réalité qu’une seule
chose à accomplir, la plus difficile : mettre de l’ordre (l’expression anglaise « to sort out » est encore plus appropriée) dans leur esprit et dans leurs dispositions. On peut
difficilement faire plus profond, plus vrai que ce processus de décantation mené à la perfection jusqu’au choix du clap de fin – c’est quand tout commence (quand tout peut commencer) que
Greenberg s’achève.

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Comme si c’était là le déclic, tout ce qui relève de l’apparence de cette partie du film est à son tour d’une superbe véracité. Le physique, le look, la manière de bouger de Roger et de Florence
font vrai. Pour lui car Ben Stiller a toujours été naturellement à l’aise dans l’incarnation de mecs average, chose que Baumbach capte parfaitement avec sa caméra ; pour elle
car la beauté de la presque débutante Greta Gerwig est naturelle, sincère, non calibrée par les exigences de la perception hollywoodienne comme aucune depuis une autre révélation, celle de
Scarlett Johansson dans Lost in translation. Les scènes de sexe font vrai elles aussi, ce qui est toujours un événement au sein d’un film américain. L’avortement, traité
sans affect polémique et dans une optique purement pragmatique – le transport, la convalescence –, fait absolument vrai. Même chose encore pour les spécificités qui gênent l’un (agoraphobie) et
l’autre (timidité) dans leur vie sociale ; elles sont introduites par petites touches plutôt qu’à grands coups de bélier, et répétées naturellement à chaque fois que la situation le
commande, y compris si le cœur de la scène ne se trouve pas là.

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Authenticité et justesse de ton sont tout autant de mise dans les terres successivement abordées par l’univers en expansion constante de Greenberg. Celles-ci se
rattachent de plus en plus à Roger à mesure que le film avance, et que l’équilibre de traitement entre Florence et lui est peu à peu rompu – peut-être parce que Baumbach est un homme, peut-être
parce que Roger, qui a vécu et aimerait repartir de zéro, offre plus d’ouvertures que Florence, qui n’a pas encore vécu et hésite quant à la direction à prendre. Cet aparté refermé, on admire
l’observation de la topographie de Los Angeles, résolument hostile aux piétons, ou encore l’éblouissante séquence abordant en deux temps (une soirée picole-drogue-musique, et le lendemain matin)
le fossé entre la génération de Roger et la jeunesse d’aujourd’hui. Sans clichés débilitants à la Lol, sans monologues
illustratifs rasoirs, avec là encore une grande maîtrise du verbe et du détail annexe qui en dit long sans avoir à insister, Baumbach atteint sa cible. Qui ne consiste pas à désigner un bon et un
méchant, un vainqueur et un perdant, mais à faire sentir une incompatibilité suffisante pour dissocier, sous l’effet principalement du temps qui passe. Dans ce cadre, la musique est très bien
figurée comme marqueur générationnel fort. Et à propos de musique, celle composé par James Murphy (le leader du groupe LCD Soundsystem) pour le film est une des plus belles B.O. de ces derniers
mois.

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