• Gainsbourg (vie héroïque), de Joann Sfar (France, 2010)

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gainsbourg-2Où ?

Au ciné-cité les Halles

Quand ?

Le soir de la sortie, à 20h

Avec qui ?

MaFemme, et une salle pleine mais plus circonspecte qu’enthousiaste au final. Écartelé entre plusieurs aspirations, le film pourra bien rebuter un peu tout le monde

Et alors ?

 

Les biopics se suivent et se ressemblent, même si ça ne se remarque pas immédiatement. Mercredi dernier, Invictus péchait
par excès de sens ; cette semaine, Gainsbourg (vie héroïque) pèche par défaut de sens. Les voies du Seigneur sont impénétrables, mais nous avons bel et bien là affaire à deux
pécheurs.

Pour Gainsbourg (vie héroïque), l’accusation est certes abusive durant la première heure. Sfar a alors une main sur le Graal convoité par tout réalisateur de
biopic : le point de vue oblique génial qui va lui permettre d’insuffler de la vie dans son film, de rendre celui-ci résistant à la pression écrasante du mythe entourant l’individu
dont l’on retrace la vie et l’œuvre. La première bonne idée du cinéaste est de s’attarder relativement longuement sur l’enfance de celui qui n’est alors encore que Lucien Ginzburg, gamin juif
dans le Paris occupé par les nazis. Dans le manuel du biopic pour les nuls, l’enfance est réduite à un rouage de scénario, à une unique scène charnière et traumatisante à laquelle on
peut revenir pour expliquer n’importe quel évènement majeur de la vie de la personne. Sfar, lui, prend le parti inverse : son observation de Gainsbourg enfant est un film à part entière avec
un début, une narration étirée et une fin ; avec des thèmes approfondis (la judéité, et au-delà l’identité en général) et des personnages secondaires qui existent réellement. On y trouve
même une idée à la fois personnelle et de cinéma : la chimère issue de l’imagination de Lucien, son surmoi juif forcément embarrassant à cette époque, qui le suit partout. Gainsbourg
(vie héroïque)
renverse radicalement le rapport de force entre les différents âges de la vie lorsqu’il introduit l’exact reflet du motif de l’adulte se remémorant sa jeunesse, dans une
séquence où le jeune Lucien imagine sa vie future. La scène est inattendue, belle, touchante ; et qu’elle repose en partie sur une bande dessinée établit un pont plaisant avec l’art
d’origine de Joann Sfar.

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L’état de grâce se prolonge dans le deuxième temps du film – Gainsbourg jeune adulte fauché, peintre ignoré, musicien alimentaire. L’incertitude quant à la destination visée par le récit, le
sentiment qu’il déambule librement au petit bonheur la chance plutôt que de lier son devenir à des rails rectilignes et platement évidents, sont alors ses meilleures vertus. Et les confrontations
impromptues et ambiguës entre Gainsbourg et la chimère qui est désormais son double faustien, ou avec d’autres apparitions comme celle de Philippe Katerine en Boris Vian affranchi de toute
subordination à la bienséance ou à la respectabilité, sont ses meilleurs guides vers des contrées hypothétiques.

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L’inspiration du film se tarit soudain lorsque son héros rencontre le succès et la célébrité. Quand Gainsbourg devient quelqu’un au lieu d’être personne, Sfar ne parvient plus à le faire parler
d’une autre voix que celle de son culte, de ses tubes légendaires. A l’écran, le personnage n’est plus une âme qui vit mais une machine à écrire des chansons – un juke-box comme celui qu’il
clamait ne pas vouloir être dans une scène antérieure. Les chansons y passent toutes ou presque, frappant Gainsbourg (vie héroïque) d’un effet zapping aussi indigeste que
frustrant. Une situation – une chanson ; une rencontre – une chanson ; un conflit – une chanson… et ainsi de suite, sans que rien ne soit plus jamais développé. On nous prédit par
exemple un scandale en réaction à la sortie de Je t’aime, moi non plus, scandale dont l’on ne verra rien ; c’est au spectateur de se le remémorer, si tant est qu’il ait eu la chance
d’y être ou d’en avoir eu par ailleurs un exposé.

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La question qui se pose est somme toute la même que pour Invictus et Nelson Mandela : est-il possible de traiter de manière (im)pertinente d’une figure majeure de l’histoire,
lorsqu’on la représente au faîte de sa gloire ? On peut penser que non [d’ailleurs Ali, l’un des rares biopics pleinement convaincants, s’arrête juste avant que son protagoniste n’accède à une telle position]. Privé
de marge de manœuvre et contraint d’avancer à marche forcée, Gainsbourg (vie héroïque) se délite de toutes parts en tombant dans le piège des effets galvaudés : photographie
criarde, décors et dialogues artificiels (la scène avec les enfants sur la plage jamaïcaine est juste risible), acteurs à la limite de la performance outrancière, ralentis… Sfar donne le
sentiment de ne plus maîtriser complètement son entreprise, sûrement trop ambitieuse pour le réalisateur débutant qu’il est. Lorsqu’il se risque à y redonner un sens en montrant que tout le
parcours de Gainsbourg était une quête incertaine d’identité française, poursuivie sans succès dans le sillage de ses plus éminents artistes – Aznavour, Vian, Gréco, Bardot… – et finalement
accomplie en solitaire et en exil, en Jamaïque, il est trop tard ; le film a perdu son élan, et n’est plus capable de rebondir si haut. Œuvre inaboutie, Gainsbourg (vie
héroïque)
déçoit voire énerve après avoir tant fait espérer. C’est toujours mieux que de laisser indifférent.

 

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