• Fenêtre sur cour, d’Alfred Hitchcock (USA, 1954)

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Où ?

A la maison, en K7 vidéo enregistrée sur Arte (un enregistrement à l’audio et à la vidéo très précaires sur la fin…)

 

Quand ?

Dimanche soir

 

Avec qui ?

Ma femme

 

Et alors ?

 

En sortant du visionnage de The staircase et de
sa douloureuse conclusion, il est difficile d’accepter sans broncher l’idée sur laquelle repose intégralement l’intrigue de Fenêtre sur cour. Un homme et une femme qui épient
leurs voisins et se convainquent, sur la base de simples conjectures aventureuses et autres déductions auto-persuasives, qu’un de ceux-ci a assassiné son épouse à l’insu de tous, voilà qui
ressemble un peu trop à l’arbitraire et irrévocable présomption de culpabilité qui s’est abattue sur Michael Peterson. Surtout quand le scénario de Fenêtre sur cour simule très
hypocritement l’honnêteté intellectuelle de se confronter aux problèmes moraux que pose cette attitude… pour mieux les balayer dans la foulée car il y a un suspense à livrer – the show must
go on
. Dans son livre d’entretiens avec François Truffaut, Hitchcock dit que le personnage principal est puni pour son voyeurisme car il finit avec les deux jambes cassées (après avoir passé
tout le film avec une déjà dans cet état). La réponse est imparfaitement satisfaisante, mais elle montre au moins que la question a troublé le cinéaste. Il y a de quoi, puisque le script attend
en définitive du spectateur qu’il partage dès le départ la conviction des héros quant à la culpabilité du méchant désigné ; et donc qu’il soit enclin à considérer comme plausible qu’un de
ses voisins puisse être un meurtrier.

A côté de cet aspect, Fenêtre sur cour est un remarquable exercice de style cinématographique dans la lignée d’une autre collaboration Hitchcock – James Stewart, La
corde
. Ce dernier était un faux plan-séquence d’une heure et quart, avec des raccords invisibles à chaque fin de bobine ; Fenêtre sur cour respecte avec une vraie
rigueur son rattachement au point de vue de son personnage principal. Ce dernier est cloué chez lui avec une jambe dans le plâtre ; la caméra est par conséquent bloquée avec lui dans son
appartement et ne peut voir avec précision que l’intérieur de celui-ci. Le reste du monde est entrevu dans les limites imposées par le cadre de la fenêtre, sans possibilité de se rapprocher au
moyen d’un zoom ou d’un travelling. Tenir tout un film, qui plus est de suspense (où il faut donc assurer en permanence une tension suffisante), avec une telle contrainte visuelle est un défi
relevé haut la main par le cinéaste, qui dans la seconde moitié de sa carrière ne s’est jamais autant amusé qu’avec précisément ce genre de problèmes à résoudre en revenant aux sources de l’art
cinématographique – les cohortes d’oiseaux dans… Les oiseaux, le dédoublement de personnalité dans Psychose ou Vertigo, le relief dans Le
crime
était presque parfait

Dans Fenêtre sur cour, Hitchcock ne biaise pas en trouvant un moyen de rendre caduques les limitations inhérentes à la quasi immobilité de sa caméra ; il en fait au contraire
les briques principales de son suspense. Des scènes qu’il observe, le héros ne contrôle ainsi pas l’éclairage (puisqu’il n’est pas directement sur place), le moment où des actions
importantes sont effectuées (malgré tous ses efforts en ce sens, il ne peut rester en permanence éveillé à son poste), et surtout pas les angles morts créés par les murs de l’immeuble (il n’a à
sa disposition qu’un unique axe de prise de vue). Des pans entiers des appartements échappent ainsi à son regard, dont la salle de bains du meurtrier présumé située entre son salon et sa chambre,
mais dépourvue de fenêtre au contraire des deux pièces adjacentes. Bien sûr, plus le récit approche de son dénouement et plus l’action va se concentrer dans des espaces aveugles comme
celui-ci ; faisant de Fenêtre sur cour une œuvre portant à l’écran de la manière la plus directe qui soit la substantifique moelle du thriller – avoir peur des aspects que
l’on ne maîtrise pas dans une situation potentiellement dangereuse.

L’autre motivation dissimulée du film est la relation jamais résolue entre Hitchcock et son actrice Grace Kelly. Il est de notoriété publique que Kelly, encore plus que les autres femmes blondes
parfaites qui sont passées devant la caméra du cinéaste, a été celle pour qui il a le plus souffert du fait qu’elle lui soit inaccessible. Son obsession pour elle lui rendait impossible l’idée de
ne plus tourner avec elle (il a d’ailleurs extrêmement mal pris sa décision de mettre un terme prématuré à sa carrière pour devenir princesse de Monaco) ; sa frustration l’a poussé à léser
en retour les personnages qu’elle interprétait dans ses films. Ainsi, dans Fenêtre sur cour Grace Kelly doit faire face à l’impensable : un homme dont elle est amoureuse et
qui ne veut pas l’épouser. L’idée n’est pas mauvaise, mais elle tourne court à cause de l’humour beauf et répétitif des répliques mises dans la bouche du récalcitrant en question (James Stewart).
On a par conséquent du mal à saisir ce qui pousse Kelly à persister de la sorte, puisqu’aucune scène ne nous montre les deux amants dans un état de concubinage joyeux et passionné. De quoi
enfoncer le clou de la thèse qui fait de Fenêtre sur cour un exercice de style desservi par des lacunes de script un peu trop voyantes pour être ignorées.

Une réponse à “Fenêtre sur cour, d’Alfred Hitchcock (USA, 1954)”

  1. [...] La version de 1956 est deux fois plus longue, pour raconter plus ou moins la même chose. Ce nouvel Homme qui en savait trop est typique des films de Hitchcock dans sa période hollywoodienne la plus fameuse – du technicolor, des stars (James Stewart, Doris Day), une durée approchant voire dépassant les deux heures. Malheureusement cet auto-remake dégrade l’original. Et sans attendre : la première demi-heure enchaîne les blagues ringardes à la OSS 117 (sans le second degré) collant à la vision que les touristes américains lambda peuvent avoir de l’Europe et du Maghreb. Cette manière de brosser le public dans le sens du poil en considérant que tout est dû aux héros qui lui servent d’alter-ego est le fil rouge du récit – actif jusque dans l’avant-dernière séquence, qui montre Stewart grommeler contre la souveraineté des ambassades étrangères aux USA. On prend péniblement son mal en patience quand de tels écarts se produisent, et on a alors tout le temps de méditer sur le fait que quand il ne l’utilise pas dans un rôle ambigu et sombre (Vertigo) mais de héros droit et « normal », Hitchcock a bien du mal à faire quelque chose d’intéressant de James Stewart, que ce soit ici ou dans Fenêtre sur cour. [...]