• Ezra, de Newton I. Aduaka (Nigéria, 2007)

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Où ?
Au cinéma des cinéastes, dans la petite salle

Quand ?
Dimanche après-midi, après l’avoir raté sur Arte (il y a un an) et à la Cinémathèque (il y a 6 mois). La 3è chance, sous forme d’une sortie confidentielle en salles (2 copies seulement), aura été
la bonne.

Avec qui ?
Ma femme

Et alors ?

A chaque trop rare film africain accessible chez nous (derniers exemples en date : Bamako, Daratt), le constat est le même : ce cinéma mérite d’être
soutenu, diffusé, reconnu. Autant – voire plus – que le cinéma asiatique, il possède sa propre voix, son identité unique en un mélange de conte et de tempérance là où le 7è art occidental est le
plus souvent à prendre au 1er degré et empli de bruit et de fureur. Ezra est un parfait exemple de cette différence de vue. Bien que son sujet (les enfants soldats pendant la
guerre civile au Sierra Leone) ait un potentiel des plus larmoyants et brutaux, Ezra le traite avec une intelligence et un sens de la mesure étonnants. Le choix de placer le
conflit armé et ses horreurs dans le temps passé, en l’observant à travers le filtre d’une commission de « vérité et réconciliation » (les ex-soldats témoignent en public de leurs
exactions, sans risquer de peines de prison), met ainsi à distance tout pathos immédiat et facile, au profit d’une méditation plus profonde, apaisée, et qui surtout se veut malgré tout porteuse
d’espoir.

Le témoignage d’Ezra, le personnage central (porté par la prestation faite de charisme et de fragilité du jeune Mamoudu Turay Kamara), se déploie au fil des bribes d’un cauchemar hantant sans
relâche l’esprit de son détenteur. La 1ère partie du récit progresse ainsi par des flashes brutaux et disjoints dans le temps – l’enlèvement d’Ezra à son école, ses faits d’armes, la discipline
martiale du camp… autant de séquences remarquablement mises en scène (avec un très beau travail sur le montage et la bande-son, oppressante sans jamais être trop stylisée) qui viennent
transpercer le calme précaire de l’après-guerre. La plus terrifiante de ces scènes reste volontairement incomplète : cette nuit d’épouvante où il a participé au saccage de 3 villages dont
celui de ses parents, Ezra n’en a plus aucun souvenir. Au lieu d’utiliser cela comme un artifice de scénario ouvrant sur une reconquête de la mémoire, le réalisateur Newton Aduaka insère cet état
tel quel dans son film : l’amnésie sélective de son héros devient le trou noir autour duquel gravite implicitement l’ensemble du récit, et rend encore plus effrayante l’idée que l’on peut se
faire des violences commises.

Malgré quelques écarts de forme – un récit un peu trop elliptique dans son 1er tiers, un épilogue quelconque -, Aduaka mène avec talent son affaire le long du chemin voulu : une fable
douce-amère en forme d’avertissement à l’usage des générations futures. Quand Ezra découvre que l’amour et la famille sont porteurs de plus de richesses que la violence et l’obéissance aveugle à
des chefs qui manipulent selon leur convenance les hommes et les idéologies, il est trop tard pour lui. Même si cette révélation progressive emmène le film sur un terrain étonnamment apaisé (ce
qui se ressent d’ailleurs dans le rythme et la mise en scène), elle vient trop tard pour le héros qui paiera le prix tragique de ses errements passés. La leçon – il faut tuer l’engrenage de la
violence dans l’œuf, après il est trop tard – s’adresse donc aux autres, personnages et spectateurs. Sa mise en images, posée et intelligente, la rend plus qu’audible : marquante.

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