• Dans la brume électrique, de Bertrand Tavernier (USA-France, 2009)

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Où ?

A la maison, en DVD zone 2

Quand ?

Mardi soir

Avec qui ?

MaFemme

Et alors ?

 

Sorti discrètement en salles il y a un an de cela, et vu une première fois à cette occasion mais sans rédaction d’une critique dans la foulée (pour des raisons diverses mais homogènes dans leur
manque avéré d’intérêt), Dans la brume électrique gagne un tour de rattrapage en DVD. Le sauvetage est tout à fait mérité, car en termes de cinéma le film de Bertrand
Tavernier est de part en part d’une incroyable beauté, léché jusque dans les moindres détails. L’inventaire de ces splendeurs est pléthorique. Il y a cette fabuleuse lumière dénichée par le chef
opérateur Bruno de Keyser, dans les scènes de nuit ou dans les méandres de la végétation des bayous de Louisiane. Il y a les dialogues étincelants mis dans la bouche des acteurs, et ce que
ceux-ci en font par leur interprétation (Tommy Lee Jones en tête, mais tous autour de lui sont époustouflants). Il y a la musique de Marco Beltrami, pot-pourri de cultures et d’époques (blues,
chansons cajun, musiques plus typiques de films de genres) qui en cela colle parfaitement à l’un des thèmes du film.

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Il y a encore le rythme envoûtant du montage, les mouvements de caméra superbement pensés… et puis cet usage tout à fait remarquable du plan-séquence et de son équivalent spatial qu’est le plan
large pour inscrire pleinement le film dans son environnement, dans son présent. Nous ne sommes ainsi plus dans notre position habituelle de spectateur, en retrait par rapport à l’action ;
nous sommes extraits de cette condition, et rapprochés en direction du monde interne au film. Nous sommes presque , évoluant d’égal à égal avec les habitants de la petite ville de New
Iberia et de ses alentours, dans leurs lieux de vie et leurs activités. Le scénario de Dans la brume électrique prend d’ailleurs un plaisir constant à se dérouter dès
que possible de son fil rouge (une enquête au sujet d’une série de meurtres) pour s’attarder sur des occupations banales – pêcher, déjeuner, s’occuper de son magasin, se rendre aux réunions des
alcooliques anonymes. L’exceptionnel (l’enquête) et le cyclique (le quotidien) se superposent en strates successives et intercalées, jusqu’à ne plus être rigoureusement isolables. Cela est
d’autant plus une bonne chose que les coupes et formatages nécessaires pour transformer un roman policier en un script pour long-métrage de moins de deux heures – dont une voix-off qui force
quelque peu la fourniture d’informations et de réflexions personnelles – lestent celui-ci d’un poids certain. Cette lourdeur est donc ici astucieusement diluée, déroutée.

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Au-delà du plaisir que confère la découverte d’un objet aussi éblouissant et irréprochable dans son exécution, Dans la brume électrique possède deux suppléments d’âme.
Le premier est la personnalité multiple de son héros Dave Robicheaux, au confluent de tant de manières de conduire sa vie : fort ou faible (membre d’une famille unie et belle à voir, mais
aussi sujet à de détestables accès de violence), dominant ou opprimé (flic intelligent, et alcoolique anonyme). Robicheaux se montre autant à son aise en visite chez de riches barons blancs de la
région que chez de modestes noirs encore et toujours marqués par leur condition de sous-homme en vigueur durant leur jeunesse. Il est rare qu’un personnage principal de film de genre soit à ce
point captivant.

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Encore plus rare et encore plus captivante est le mélange des genres de cinéma d’exploitation opéré par Tavernier – et avant lui, bien sûr, par James Lee Burke dans son livre – avec
l’introduction dans le récit d’une part de fantastique. Des fantômes issus de la Guerre de Sécession sillonnent les bayous, et s’immiscent à intervalles réguliers dans la vie, ou dans la tête, de
Robicheaux sans que la nature de leur présence soit jamais résolue ; bien au contraire. Tavernier cultive avec délectation ce doute, cet entre-deux entre la solution des hallucinations et
celle de l’entrée pour de bon dans le film de fantômes. Et il le porte à son paroxysme dans un dernier plan saisissant par son alliance du présent et du passé, de l’irréel et du concret.

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Le film s’accompagne d’un commentaire audio, véritable et précieuse leçon de cinéma délivrée par Tavernier – cinéphile de renom, et auteur de la bible 50 ans de cinéma américain. Son
cours magistral est sobre, réfléchi et tout le contraire de rébarbatif. S’il évoque ici et là ses accrocs avec les techniciens locaux (sur le montage – différent en définitive dans la version
exploitée aux USA –, les cadrages, le générique aussi), c’est toujours rapidement et sans s’appesantir. Et il préfère nettement discourir du positif ; par exemple le travail avec Tommy Lee
Jones, qui est quasiment élevé au rang de coréalisateur (et il est vrai qu’il en est effectivement un lui aussi) à force que soient relevées par Tavernier ses propositions de casting, son
écriture de certaines scènes, sa participation active sur le plateau même quand il n’est pas à l’écran.

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Tavernier relate son lot d’anecdotes du quotidien du tournage, à travers lesquelles perce un double émerveillement : celui sans cesse renouvelé de faire du cinéma, de créer une œuvre en
association avec des comédiens ; et celui de s’être avec Dans la brume électrique mis en danger, loin du cocon d’une production 100% française. A d’autres moments,
le cinéaste précise des décisions artistiques de plus haut niveau, qui façonnent le style et l’allure si singuliers du film : sa musique, son tournage en décors réels, son traitement direct du
surnaturel. Sur ce dernier point, il pointe par exemple le choix de toujours introduire le général confédéré par des mouvements de caméra et non des coupes, ou encore le fait que ses apparitions
se produisent toutes dans des lieux familiers pour Robicheaux. Au final, il apparaît clairement que le cinéma est pour Tavernier une expérience totale, qui doit pleinement embrasser, de la façon
la plus sincère qui soit, tout ce qui est à sa portée – les lieux où la caméra s’installe, la beauté des paysages, la vie locale, la culture et l’histoire… Les suppléments du deuxième disque
nous ouvrent d’ailleurs un peu grande la porte de la Louisiane telle que Tavernier l’a découverte et aimée. Le réalisateur y réalise lui-même une interview de la légende du blues Buddy Guy, dont
un mini-concert de deux chansons est présenté en intégralité dans la section des scènes coupées. Quant au documentaire sur l’auteur James Lee Burke, il se transforme rapidement en un documentaire
sur la Louisiane avec Burke comme guide de son histoire et de ses malheurs, notoires (les ouragans) ou opérant dans l’ombre : à savoir l’industrie du pétrole, qui avant de ravager la faune et la
flore locale en avait éradiqué la culture en se comportant avec le même impérialisme que dans les pays du Tiers-Monde qu’elle exploite pareillement.

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