• Crime passionnel, de Otto Preminger, (USA, 1945)

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Où ?
A la cinémathèque

Quand ?
Dimanche soir

Avec qui ?
Ma femme

Et alors ?

Bien qu’il en possède de nombreux attributs, Crime passionnel (titre français comme souvent incroyablement plus faible que l’original, Fallen angel) n’est pas un film
noir classique. Se détachant de l’emphase tragique qui porte les meilleurs représentants du genre, le réalisateur Otto Preminger raconte avec une grande froideur – que l’on retrouvera par la
suite dans Autopsie d’un meurtre, entre autres – une histoire de passion dévastatrice impliquant des individus banals, dans une bourgade banale. Eric (Dana Andrews), petit
arnaqueur sans le sou, est jeté hors du bus à la station de Walton, quelque part sur la côte Pacifique en Californie. Là, il s’entiche d’une serveuse, Stella (la brune Linda Darnell, dotée de
tous les attributs extérieurs de la femme fatale), à qui il promet le mariage, la richesse et une vie meilleure loin de Walton. Pour cela, il lui faut séduire et détrousser la riche héritière
June (la blonde Alice Faye, oie blanche toute désignée).

Mais pour mener à bien son plan (et peut-être aussi mû par une envie plus sincère ? difficile de juger), Eric ne voit d’autre solution que d’épouser June. Stella le repousse alors, et est
assassinée la nuit suivante. Eric devient le suspect n°1… mais le cours du film n’est pas particulièrement bouleversé par ce meurtre. Plutôt que de filmer la fuite d’un innocent accusé à tort,
ou de s’intéresser aux états d’âme d’un homme qui a franchi la ligne rouge du meurtre, Preminger observe d’un bout à l’autre de Crime passionnel la fourberie et la corruption
tapies au fond de tous les membres de la communauté. Le film ne traite donc pas du Mal, mais de la tentation du Mal ; c’est en cela qu’il est déceptif et paraît faussement anodin.

Avant le meurtre, tous les personnages nous sont ainsi présentés comme obsédés par l’argent. Pas le cliché du gros casse juteux, mais simplement l’argent au quotidien, comme élément dominant de
nos vies. Il fait ressortir le pire de chacun – paranoïa ou convoitise, au choix – mais surtout il est présent dans toutes les scènes du film ou presque. Chaque transaction, chaque prix même
le plus minime (un ticket de bus, un café) est montré à l’écran, explicité dans les dialogues, et représente le plus souvent l’objectif de la séquence, sa justification. Qu’ils soient nantis ou
fauchés, tous les protagonistes se voient dès lors dépouillés de rêves d’un ailleurs par ces besoins ou désirs matériels si crûment présentés.

Cette prédominance de l’argent balaye toute considération morale hors du champ de Crime passionnel, au point qu’après le meurtre tout le monde est suspect – un sentiment renforcé
par le fait que personne ne semble secoué par cet événement. En définitive, ce que Preminger filme avec tant de détachement et sans porter aucun jugement, c’est bel et bien le quotidien d’un
anonyme microcosme de la société dans son ensemble. Encore cinglant 60 ans plus tard, il faut imaginer à quel point le propos du film devait être choquant lors de sa sortie, avec son meurtre sans
conséquences, son policier sadique qui tabasse les suspects, sa fille de bonne famille bien élevée et catholique qui s’entiche d’un truand visiblement pour le simple plaisir de mal se comporter -
et qui se tient à cette résolution. Bienvenue à Walton !

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