• Coraline, de Henry Selick (USA, 2009)

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Où ?

A New York, dans une salle équipée pour la projection en 3D

 

Quand ?

En février dernier

 

Avec qui ?

Ma femme

 

Et alors ?

 

Ce mercredi 10 juin est à marquer d’une pierre blanche après plusieurs semaines de vaches maigres cinématographiques ; entre Les beaux gosses et Coraline, il
accueille la sortie de deux excellents films. (Et au vu de la morosité qui se profile à l’horizon pour la suite du mois de juin, il est vivement conseillé de profiter au maximum de ces deux
longs-métrages). A la base de Coraline, il y a un superbe « roman jeunesse » de l’auteur de fantasy Neil Gaiman, qui y traite ses lecteurs enfants en adultes,
par l’identification à une héroïne de leur âge habile et courageuse, et les lecteurs adultes comme des enfants, en donnant vie à un monde imaginaire peuplé de personnages et de lieux
extraordinaires et farfelus.

 

L’adaptation en stop motion (technique d’animation de marionnettes réelles, filmées image par image, que le réalisateur a déjà utilisée dans L’étrange Noël de M. Jack
entre autres) que Henry Selick tire de ce livre est elle aussi superbe… en partie par ses trahisons envers l’œuvre d’origine. La trame du récit est bien entendue conservée, ainsi que ses
protagonistes. Soit Coraline, jeune fille qui aimerait bien que ses parents trentenaires plongés dans leur travail s’occupent un peu plus d’elle. Lorsqu’elle découvre, dans un recoin du petit
immeuble dans lequel ils viennent d’emménager, un passage vers un autre monde miroir du sien (à quelques détails près), Coraline est aux anges : dans cet univers parallèle, ses parents
agissent exactement comme elle en rêve – blagueurs, décontractés, aux petits soins pour elle. De comparables modifications légères d’attitude et d’aspect rendent la compagnie des voisins, quelque
peu creepy dans le monde réel (deux vieilles filles ressassant la nostalgie de leurs souvenirs et servant des bonbons douteux, un dresseur de souris excentrique et beaucoup trop enjoué),
tout ce qu’il y a de plus agréable. Même Wybie, le garçon du même âge que Coraline qui fait tout pour l’agacer, devient un adorable compagnon de jeu.

Trop beau pour être vrai ? Bien sûr. Coraline se voit proposer un pacte faustien par son « Autre » mère : pour rester pour toujours dans ce monde idéal pour elle (mais pas
forcément pour les autres…), il lui faut se coudre des boutons à la place des yeux. Et refuser n’est pas une option admissible par l’Autre mère… L’excellence des personnages, des enjeux et du
suspense – l’Autre mère a en stock pas mal de pièges à tendre à Coraline – imaginés par Gaiman est une base propre à assurer un succès minimal à n’importe quelle adaptation filmée. Encore
fallait-il réussir à donner vie à cette héroïne charismatique, Alice du 21è siècle (pas rassurée mais courageuse, honnête mais un tantinet effrontée et moqueuse), et à ceux qui l’entourent.
Quelque soit le statut de ces derniers – parents ou voisins, animaux ou fantômes – et leur attitude vis-à-vis de Coraline (bienveillante ou malfaisante), tous sont véritablement marquants, au
point de nous rester en mémoire longtemps après la séance. Quand à Coraline, c’est bien simple, on tremble et on espère avec elle sans retenue.

Coraline est plus qu’une simple adaptation correcte grâce au fait que Selick complète – ou remplace, selon les scènes – l’imaginaire littéraire de Gaiman par son propre imaginaire
purement visuel. Plusieurs passages du roman, parfois anodins, sont de ce fait transfigurés en moments intenses de cinéma : le tunnel reliant les deux mondes, le jardin décoré en l’honneur
de Coraline, le spectacle de danse des souris, et d’autres encore deviennent ainsi le cadre d’une fabuleuse profusion de couleurs, de mouvements, de visions issues d’une imagination formidable et
sans bornes. Les images remplacent les mots ; ce en quoi Henry Selick fait réellement du cinéma, un cinéma de divertissement de tout premier ordre. Lequel culmine

(spoiler… !)

dans le dernier acte, quand le courroux extrême de l’Autre mère provoque la disparition progressive de l’univers qu’elle a inventé, comme une création de dessin animé qui irait à l’envers et
retournerait pas à pas vers la feuille blanche. L’idée est visuellement très efficace : déchirer les tentures d’un monde que l’on nous a présenté comme concret, et nous dévoiler sa façade
nue et tout ce qu’il y a de plus artificielle est une méthode indéfectible pour générer une angoisse aigüe. Symboliquement, ce que fait le cinéaste est tout aussi puissant. Dans un médium visuel,
que peut-il y avoir de plus terrifiant, de plus évocateur de la mort qu’un écran entièrement blanc ? Plus de couleurs, plus de mouvements ; plus d’images. Henry Selick nous met en garde contre
ses semblables, les inventeurs de beaux récits, de belles images séduisantes comme sait les façonner l’Autre mère. Sur un coup de tête, ils peuvent décider de tout effacer et de nous abandonner
au milieu d’un vide radical.

La cerise sur ce gâteau déjà copieux est le superbe usage de la projection en relief. Ses effets appuient le récit (principalement quand ils amplifient la sensation de vertige face aux hauteurs
et aux profondeurs, avec pour summum le duel final sur une toile d’araignée sans fin) et ne le font jamais dévier de sa route en succombant à l’attrait d’un choc facile et vain.
Coraline est tout aussi bon sans la 3D ; ce qui est la meilleure raison pour profiter de celle-ci au cas où une salle près de chez vous le propose.

 

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