• Cléopâtre, de Cecil B. DeMille (USA, 1934)

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Où ?

À la cinémathèque, où une immense rétrospective (plus de soixante films programmés) est consacrée au cinéaste jusqu’à la mi-juin

Quand ?

Dimanche

Avec qui ?

Seul, au milieu d’une salle (la grande) pleine

Et alors ?

De par son sujet, Cléopâtre a l’allure et le goût du Cecil B. DeMille que le grand public connait – celui du péplum pompeux et premier degré, dont l’exemple le plus édifiant est
Les dix commandements avec Charlton Heston, diffusé tous les ans à la télévision pour les fêtes de Noël. Heureusement, cette version de Cléopâtre a pour elle des
atouts issus de la première – la vraie – carrière de cinéaste de DeMille, qui en font un vrai film et non pas une meringue géante et indigeste entre la bûche et le café.


Ne dépareillant pas des (innombrables) autres adaptations, ce Cléopâtre tire son inspiration de son actrice principale. La version de quatre heures de Joseph L. Mankiewicz (1963)
est démesurée, grandiloquente, théâtrale comme seule pouvait l’être Elizabeth Taylor ; le long-métrage de DeMille est espiègle, pétillant, spirituel à l’image de Claudette Colbert, plus
connue pour son immense talent comique (New York Miami, Midnight, The
Palm Beach story
) que pour ses rôles tragiques. J’en profite d’ailleurs pour expédier sans plus attendre les portions les moins réussies du film : celles s’éloignant de
l’intimité des puissants, là où les différents se règlent en face à face par l’intimidation ou la séduction. On sent DeMille mal à l’aise dès lors qu’il doit pointer sa caméra sur des événements
se déroulant au grand jour, en partie pour des raisons de production (la guerre finale entre Octave et Marc-Antoine, soldée en cinq minutes d’un montage à la Michael Bay et faisant un usage
immodéré des stock-shots) mais principalement car il s’y ennuie, ne pouvant y faire preuve de verve et esprit.


Pour la même raison, Cléopâtre perd également de sa superbe lorsque son héroïne éponyme se voit mise en difficulté. En dehors de quoi, le festival Claudette Colbert est une fois
de plus irrésistible. Elle interprète son rôle comme s’il s’agissait d’un personnage d’une de ses comédies de remariage, pleine de sensualité et de malice – et DeMille a eu l’intelligence
d’adapter en ce sens sa mise en scène (beaucoup de décors à taille humaine, de séquences aux dialogues rythmés et mettant à contribution costumes et accessoires) et le jeu des acteurs entourant
Colbert. Les séductions par la reine d’Égypte de César puis de Marc-Antoine deviennent ainsi les deux points culminants du récit. Elles sont traitées chacune en une seule longue scène, qui ne
s’essouffle jamais grâce à l’injection constante de nouveaux éléments comiques (un assassin démasqué derrière un rideau, une crise de hoquet) et affriolants – des robes faites pour dévoiler ou
suggérer, une « pêche miraculeuse » de jeunes femmes étendues lascivement aux pieds de Marc-Antoine. Comme les glorieuses comédies signées Lubitsch ou Sturges de ces années-là,
Cléopâtre se tient à la limite de ce que la censure permet ; et quand il la dépasse, c’est avec suffisamment d’astuce pour éviter de se faire prendre.


Si DeMille se passionne plus pour la femme Cléopâtre que pour la reine, il profite tout de même des occasions qui se présentent pour mettre en boîte quelques plans suffisamment magistraux qui
donnent le change, eu égard au cahier des charges du péplum. Ces plans interviennent le plus souvent en fin de séquence, et tirent leur force de la manière dont le cinéaste brise soudainement
l’équilibre de la mise en place géographique et visuelle de la scène. Cela peut être fait en réduisant l’espace autour des personnages (le meurtre de César dans le hall du Sénat, filmé en plans
très serrés en vue subjective et remplis entièrement par les corps des conspirateurs ou de la victime), ou bien en l’élargissant à l’extrême : la séduction victorieuse de Marc-Antoine est
accueillie par un long travelling arrière, dévoilant sous nos yeux ébahis l’ampleur des réjouissances et divertissements supplémentaires prévus par Cléopâtre. Plus tard, c’est en vidant l’immense
salle du trône de toute présence humaine autre que celle de la reine mourante que DeMille clôt son film avec toute la majesté qui sied à une telle figure.

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