• Blow up : vers la sagesse ou la folie ? , de Michelangelo Antonioni (Italie/Angleterre, 1967)

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Où ?
À la filmothèque du Quartier Latin, dans la salle bleue cette fois. Le cinéma projette le film chaque jour depuis le mois d’août, en hommage au réalisateur récemment disparu.

 

Quand ?

 

Hier soir

 

Avec qui ?

 

Ma fiancée

 

Et alors ?

 

Blow up, Palme d’or en 1967, appartient à une catégorie de films que j’affectionne particulièrement (cf. une autre Palme d’or récente) : ceux dont le récit
est tout entier contenu sur une durée limitée, sans pour autant tomber dans le fantasme trompeur du temps réel. Ici, 24 heures de la vie d’un photographe hype du Londres hype
des années 60 vont suffire à mettre à bas ses certitudes et son rapport au monde. Le choix du métier de Thomas (David Hemmings) n’a rien d’anodin. Le photographe constitue la représentation
visuelle la plus forte qui soit de notre société vivant dans le culte de l’apparence et – justement – de la représentation. En ne regardant le monde qu’à travers les yeux et l’appareil de Thomas,
Blow up est donc tout entier une mise en abyme, non pas concrète (du type un film dans le film) mais philosophique : Antonioni capte dans une caméra les faits et
gestes d’un homme qui cherche à capter l’essence du monde dans une caméra.

 

Pour accentuer le trouble généré, Antonioni filme ses scènes comme des tableaux, à la composition plus esthétique que naturelle. Le résultat est visuellement enchanteur, une suite de toiles d’une
grande richesse. Thématiquement, cette stylisation interpelle : le cinéaste piège-t-il Thomas dans son propre jeu, ou bien désire-t-il dire la grandeur de l’art, capable de sublimer
l’existence ? La problématique de Blow up et de son héros est là, dans cette incertitude entre la déliquescence et l’élévation, la folie et la sagesse. Antipathique sans
être pour autant mauvais, Thomas mène une vie matérialiste, complètement vide sur le plan spirituel ; il ne conçoit son rapport aux choses et aux êtres que par la qualité des photos qu’elles
peuvent lui apporter. On le voit ainsi aimer ou bien humilier les femmes via son appareil, ou encore déclarer que Londres ne l’intéresse plus – pour cause, il est sur le point de finir un recueil
de clichés couvrant sous tous ses aspects la ville, qu’il a vampirisée sans jamais réellement l’habiter.

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La dernière photographie de ce projet va tout remettre en cause. Certes, elle établit tout d’abord la toute-puissance du photographe, qui découvre par des agrandissements successifs que cette
scène anodine (un couple dans un parc) cache en son sein une scène de crime. Mais elle ouvre ensuite un gouffre sous les pieds de Thomas, ramené à sa vacuité par le surgissement concret et
inattendu de la mort. Face à la gravité de la situation, la réaction de celui-ci est tragiquement veule. Il esquive dans un premier temps la confrontation en se réfugiant parmi ses compagnons
d’aphasie voulue, dans un concert où les reliques offertes par le groupe importent plus que la musique ou dans une soirée où tout le monde s’abandonne dans la drogue. Finalement, il ne l’accepte
au lever du jour que muni de son substitut d’âme : son appareil photo. Mais le « rendez-vous » achoppe et la scène qui suit, devenue culte (une partie de tennis sans balle ni
raquettes), clôt le récit en laissant sans réponse la question cruciale : Thomas a-t-il quitté le règne de l’apparence pour atteindre la sagesse, ou bien y a-t-il plongé jusqu’à la
folie ?

 

Antonioni laisse à chaque spectateur le soin de trouver sa propre réponse, puisque le parcours de Thomas n’est là que pour refléter le notre, confronté aux mêmes doutes et tentations. En
repensant a posteriori à Blow up, on se rend compte qu’une voie de secours possible y est tracée : l’expression artistique. Le cinéaste l’expose via les nombreux
média qui foisonnent dans le swinging London de cette époque, des musiques en plein essor (la bande-son jazz de Herbie Hancock, le rock) aux performances corporelles (le mime, mais aussi
le sexe libre et sans tabous). À vous d’en tirer le meilleur parti, semblait-il – et semble-t-il toujours – nous dire.

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