• Beaufort, de Joseph Cedar (Israël, 2007)

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Où ?
Au MK2 Beaubourg, dans une toute petite salle aux rangées tellement serrées qu’il vaut mieux aimer faire se lever les gens pour aller s’asseoir au fond (c’est leur faute aussi, ils n’avaient qu’à
commencer par remplir le fond des rangées)

Quand ?
Mardi soir

Avec qui ?
Seul, après 2 tentatives infructueuses avec mon compère de cinémathèque (train raté) puis mon collègue de films de festivals (grippe)

Et alors ?

Beaufort est un très grand film de guerre. Le 1er point sur lequel il impressionne est sa proximité avec l’actualité : les faits relatés concernent l’évacuation du Sud-Liban par
l’armée d’Israël en 2000, soit seulement 7 ans avant le tournage du film qui date de début 2007 (il est passé au Festival de Berlin cette année-là). Et je ne parle même pas de la nouvelle guerre
du Liban qui a eu lieu dans les mêmes zones, à l’été 2006… Comme en plus le récit est loin d’être flatteur pour Israël, une telle promptitude donne à réfléchir quand on la compare à
l’incapacité de la France, encore aujourd’hui, à traiter de manière critique de la guerre d’Algérie vieille de 50 ans.

Beaufort est la chronique de la vie d’un bataillon posté dans un fort – qui donne son nom au film – sans plus aucune importance stratégique autre que symbolique : montrer que les
israéliens ne fuient pas le Liban, mais qu’ils s’en vont à leur convenance. On comprend assez vite que le fort est complètement coupé du monde. Les ravitaillements et ordres semblent venir de
nulle part (sans aucun plan classique de camion ou d’hélicoptère que l’on verrait arriver de loin), et à un rythme erratique. De même, l’ennemi est invisible et lointain, et ne se manifeste que
par des attaques indirectes – des mines anti-personnelles, et surtout des salves presque ininterrompues de missiles dont l’arrivée donne lieu à des annonces vocales « obus,
obus »
et « impact, impact » qui scandent plutôt qu’elles ne rompent la monotonie de la vie du camp.



Beaufort était donc à Berlin ; ce fut même le prédécesseur de There will be blood pour l’Ours d’Argent de la mise en scène. La maîtrise du réalisateur Joseph Cedar ne méritait pas moins. Il utilise à merveille
la disposition et la construction uniques de l’avant-poste occupé par les soldats – ses couloirs et chambrées étriqués comme dans un sous-marin, le délabrement des parties extérieures laissées à
l’abandon derrière les murailles de béton, la pénombre constante dans les salles communes… – pour créer une ambiance surnaturelle, qui frôle la science-fiction. Il nous fait ainsi ressentir
pleinement la sensation d’abandon et d’impuissance des gamins-soldats, aussi incapables de maîtriser leur environnement que de mener cette guerre bizarre. A leur sujet, Cedar n’insiste jamais de
manière putassière sur l’âge ; mais les visages des acteurs en disent suffisamment, tout comme le fait qu’ils soient constamment désignés comme les « fils » de quelqu’un, et jamais comme
des pères.

Dans ces derniers jours à Beaufort avant l’évacuation, tout prend un temps fou – et le film ne triche jamais, via des ellipses, avec ce poids du temps, qu’il s’agisse d’aller d’un point à l’autre
du fort ; de déminer un engin explosif ; et même de mourir. Car chaque attaque du Hezbollah est un succès, avec pour chacune un nouveau mort à la clé parmi les troupes du jeune sergent impuissant
et privé d’initiative – sa seule marge de manœuvre est d’essayer de leur faire quitter le plus vite possible ce trou. Beaufort est intelligemment anti-guerre : les remarques
pointant l’occupation inique du Sud-Liban et le manque de considération des états-majors envers les grouillots de base restent à la marge du récit, et sne mettent jamais en cause sa progression
et sa cohérence.

L’ambiance irrespirable, et dans le même temps résignée, est assurée autant par les images (les cadres sont rarement entièrement compréhensibles : il y a souvent une fumée, l’exigüité d’un décor
ou un autre facteur pour venir bloquer en partie notre vue) que par la bande-son, constituée de plages lancinantes, pesantes, avec beaucoup de basses. Au fil des discussions, anodines ou plus
sérieuses mais toujours crédibles (pas de grands discours soudains qui sortent de nulle part), les personnages gagnent en chair et nous deviennent proches. Du coup leurs morts, si elles
surviennent, nous touchent réellement, ce qui n’est pas toujours le cas dans les films de guerre.

Le dernier acte, remarquable, leur donne enfin la possibilité d’évacuer le fort, une évacuation qui s’accompagne de sa destruction par un millier de mines disséminées sur tous les murs. Tous les
enjeux visuels et scénaristiques sont portés à leur paroxysme par ce chapelet d’engins mortels : les attaques ennemies et l’incohérence des ordres venant d’en haut deviennent d’autant plus
dangereux, et chaque plan est rendu encore plus fantasmagorique par la présence constante et obsédante d’une ou plusieurs mines en arrière-plan, qui semblent attendre patiemment leur heure.
Pourtant, jusqu’au bout Cedar ne cède pas aux sirènes du spectaculaire. Il assure la réussite de son projet en gardant en tête que la virtuosité n’est pas une fin en soi mais un moyen, au service
d’un scénario et de personnages. C’est sur cette base que Beaufort nous émeut jusqu’à sa dernière image, où la victoire filmée n’est ni définitive ni globale. Comme dans le
diptyque d’Iwo Jima de Clint Eastwood, elle n’est qu’un instant éphémère de délivrance, à savourer entre amis
loin de toute considération géopolitique.

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